« Visiblement le président n'a pas l'habitude de débattre avec la France qui se lève tôt. Je voulais lui prouver que celle-ci ne se couchera pas devant la politique antisociale des actionnaires qu'il cautionne. » De retour à Lorient, Pierre Le Ménahès, sacré « Meilleur intervieweur politique » de TF1 par ses fans sur la Toile, répète inlassablement les formules avec lesquelles il a mordu les basques de Nicolas Sarkozy lundi dernier, en prime-time, devant plus de 8 millions de téléspectateurs. Depuis qu'il a crevé l'écran, le syndicaliste CGT de la fonderie morbihannaise SBFM croule sous les SMS et les mails de soutien. La France des anti-sarkozystes en a fait sa nouvelle icône, le porte-parole de ces questions qu'elle aimerait bien poser, elle aussi, au président, et que les journalistes trop sages, trop installés, trop lointains, n'osent même plus esquisser.
Le rocker au look de Bernard Lavilliers, dont il est fan, est retourné, lui se « ressourcer » auprès des camarades qui l'avaient mandaté pour bousculer le chef de l'État et porter, au-delà de la SBFM, la parole des salariés qui souffrent de la crise. Musicien et parolier d'un groupe baptisé Hasta Siempre (en hommage à la chanson contant l'épopée de Che Guevarra), Pierre Le Ménahès ne se lasse de reprendre son même numéro à succès, confirmant avoir conseillé à Nicolas Sarkozy, une fois l'émission terminée, de « s'acheter lunettes et sonotone pour mieux écouter les salariés de son pays ».
La saillie fait marrer Yvan le Bolloc'h, acteur engagé à la gauche de la gauche, venu soutenir l'année dernière les salariés de la SBFM : « Pierre ne se laisse pas endormir. Il pose très vite les enjeux, les rapports de classe. Il est tout le temps sur la défensive et désamorce les techniques de com' », salue, en expert, le duettiste de Caméra café.
Lundi dernier, sur TF1, Pierre Le Ménahès n'a pas seulement déstabilisé Nicolas Sarkozy. Par sa radicalité et son parler cash, lui qui a déchiré sa carte du PCF il y a quinze ans, a aussi renvoyé la gauche en général, et les socialistes en particulier, à leur frilosité. Et à leurs difficultés à être entendus du monde ouvrier.
LA CÔTE CÔTÉ NPA
Raison pour laquelle Le Ménahès horripile le placide président PS de la région Bretagne, Jean-Yves Le Drian (« Ce flashou, il me pompe l'air ! ») et ne sied à Bernard Thibault auquel il estime n'avoir pas de compte à rendre. Commentant la prestation de son adhérent, le secrétaire général de la CGT s'est autorisé un commentaire cinglant : « Il a fait au mieux. TF1 préfèrera toujours un syndicaliste en plateau qu'une section CGT à domicile. » D'autant plus vachard que Pierre Le Ménahès n'a accepté l'invitation qu'après en avoir discuté avec ses « copains » de la SBFM qui lui avaient demandé de passer, si possible avec le tee-shirt de la boîte, une exigence qu'a refusée TF1. Peu en cour au sein de la gauche réformiste, le syndicaliste a davantage la cote du côté du NPA. Avant l'émission, il avait d'ailleurs passé un coup de fil à Olivier Besancenot pour recueillir ses conseils. Le leader trotskiste est venu quatre fois au chevet des ouvriers de la SBFM, et les deux hommes sont devenus amis. « Mais Pierre était un peu inquiet d'une éventuelle récupération », glisse Besancenot, qui prend soin de ne pas donner l'impression que son poulain soit sous tutelle du NPA...
AU SERVICE DES « CAMARADES »
S'il n'est pas encarté dans les rangs de la formation trotskiste, Le Ménahès n'est pas pour autant un militant débutant. Tout au long de l'émission, sa rhétorique huilée et son sens de la formule l'ont prouvé. Fils d'une coiffeuse et d'un chauffeur routier, le « Che de la SBFM » s'est taillé une conscience civique au contact (rugueux) de son service militaire effectué chez les paras. Un uniforme « colonial » et des « ordres débiles » lui ont décillé les yeux. Et lorsqu'il entre en 1979, à 20 ans, à la SBFM, il n'attend pas une semaine pour adhérer à la CGT. « L'atmosphère Temps modernes de la fonderie, la pénibilité des postes, le charisme du leader syndical de l'époque Roger Prago m'ont convaincu de m'engager », raconte ce quinquagénaire, père divorcé de deux grandes filles. Très implanté dans ce qu'on appelait « la ceinture rouge de Lorient », la CGT comptait à son apogée 1 200 adhérents sur les 1 600 salariés de la fonderie ! Des effectifs divisés par trois aujourd'hui... Ce fief cégétiste n'en reste pas moins un vrai foyer actif de rébellion. « On se s'est jamais laissé marcher sur les pieds par nos dirigeants, clame Tahar Béjaoui, secrétaire de la section CGT retraités, véritable réservoir de 120 manifestants mobilisables à tout moment. Très tôt, Le Ménahès a été admiré pour son honnêteté et sa capacité à intervenir sur tout. » Lorsqu'on lui demande où il puise cette assurance, il nous dit : « Je préfère rougir deux minutes plutôt que d'avoir mal au cœur de rien dire », renchérit un collègue. Et la section CGT de la SBFM s'est longtemps montrée efficace, obtenant le retrait de plans de licenciement ou l'implantation d'une activité d'usinage à forte valeur ajoutée. « Nous avons toujours été une famille », confie Le Ménahès. Les anciens protègent les jeunes, et lorsqu'on fait la fête, on ne rentre pas avant l'aube. Tous se sont estimés trahis lorsque Renault a confié les rênes de son sous-traitant à Fiat. Rapidement, les investissements se sont taris. A l'automne 2008, lorsque le couperet est tombé sur le site caudanais, deux ans après que Fiat eut passé la main à un groupe familial (mal) baptisé Zen group, Le Ménahès, secrétaire général de la section, a fait claquer l'une de ces formules qui ont fait sa notoriété : « La SBFM ne sera pas le Metaleurop du Morbihan ! Renault doit nous réintégrer dans son groupe et augmenter ses commandes. »
Rares sont ceux qui misaient un euro sur le succès de cette mobilisation. Huit mois durant, de séquestrations de dirigeants en manifestations, les employés de SBFM, soutenus inconditionnellement par les médias et la population, ont obtenu gain de cause : le 26 janvier, Renault s'est engagé à reprendre le site et à y réinvestir 35 millions d'euros d'ici 2014. « Même les grosses brutes de l'usine pleuraient... », se souvient Le Ménahès. Et le nouveau héros de l'anti-sarkozysme n'a pas fini de continuer à griller compulsivement ses cigarettes, soucieux qu'il est de mettre sa toute fraîche notoriété acquise aux frais de TF1 au service des « camarades ». Au bout de deux heures de direct, Nicolas Sarkozy a peut-être cru un peu vite s'être débarrassé de ce nouvel opposant...