Pour Jack Dion, le sondage Harris plaçant Marine Le Pen en tête du second tour reste un sondage, avec toutes les réserves que cela comporte. Pourtant, selon lui, il est significatif de la débâcle du Sarkozysme, et de l'incapacité de la gauche à bénéficier de cette situation.
Qu’il faille prendre avec des pincettes le dernier sondage plaçant Marine Le Pen en tête du premier tour de la présidentielle, c’est une évidence. Si l’on devait jauger de la validité des sondages en fonction de leurs avoinées passées, il y a longtemps que ce mode d’évaluation de l’opinion serait considéré pour ce qu’il est souvent : une machine à manipuler les citoyens.
Tel qu’il est réalisé aujourd’hui, le sondage politique permet d’instrumentaliser les électeurs, au point que l’on se demande pourquoi on n’a pas encore proposé de remplacer le droit de vote par le droit de sonder, ce qui ferait gagner du temps et de l’argent. Passons. On en reparlera durant les quatorze mois qui nous séparent d’un événement qui s’appelle l’élection présidentielle, et qui semble se rejouer tous les matins.
Cela dit, il n’y avait pas besoin de nouveau sondage pour mesurer la percée de la fille Le Pen dans l’opinion. Son ancrage dans l’opinion est d’autant plus spectaculaire que le Sarkozysme est un phénomène politique en voie de décomposition et que la gauche n’en profite pas – même en cas de candidature DSK, présenté par certains comme un sauveur suprême contraint de réviser ses fondamentaux au Fonds Monétaire International. En vérité, le directeur du FMI fait à peine mieux (ou plus mal) que Martine Aubry ou François Hollande.
Reste donc ce double constat d’un Waterloo politique des deux partis dominants l’arène institutionnelle, et rien ne permet de dire que la donne changera à court terme.
La déroute du Sarkozysme est patente. L’homme qui théorisait la « rupture » a échoué sur les thématiques principales qui lui avaient permis de siphonner une partie des voix de l’extrême droite : l’immigration (pas plus contrôlée aujourd’hui qu’elle ne l’était hier), la sécurité (réussite zéro) et le volontarisme d’Etat (devenu démission publique). En s’aventurant sur les terres idéologiques du FN, Sarkozy ne fait que valider le message de la cheftaine du FN, et faciliter une fuite d’un électorat qui préfèrera toujours, sur ce terrain, l’original à la copie.
L’autre réalité de l’heure, c’est que la gauche ne profite aucunement de cette situation. Cela vaut tant pour sa frange consensuelle (le PS) que pour les spécialistes de l’agit-prop (Mélenchon et Besancenot).
Le PS pâtit de son passage aux affaires, de sa mollesse sur le terrain social, de son assimilation aux élites honnies, de son incapacité à esquisser une alternative crédible au néolibéralisme, de son refus durable à aborder les questions qui fâchent (immigration, sécurité, laïcité), de ses scandales internes (l’affaire marseillaise) et de sa course à l’échalote interne – les fameuses primaires. Certes, une grande partie de l’appareil socialiste espère se rallier au panache rose de DSK, mais ce dernier est aussi crédible comme homme de gauche que Benoît XVI comme icône gay.
Quant à la gauche de la gauche, elle continue à se faire peur en dénonçant Marine Le Pen comme « fasciste » alors que cette dernière pose en pasionaria de l’antimondialisme et du pouvoir des banquiers, avec des arguments souvent contestables mais toujours efficaces.
Avec le doute vis-à-vis des partis dominants, la crise, la faillite de l’Europe, le climat anxiogène, l’absence du moindre message alternatif, il y a là tous les ingrédients d’un choc politique qui se manifeste aussi bien à travers le vote FN que par l’abstention. C’est un phénomène qui remonte loin, et qui peut porter loin. On ne l’évitera pas en sortant de son chapeau des combinaisons politiciennes incertaines ou des formules incantatoires.
Face à un problème politique de cette ampleur il faut une réponse politique cohérente permettant de donner un second souffle au modèle Républicain. Pour le moment, on n’en perçoit même pas les prémisses. Rien n’interdit de croire à un sursaut. Il reste quatorze mois. C’est long et court à la fois. Comme disait Julien Green : « C’est quand règne le noir total que l’aube peut poindre ».
Jack Dion - Marianne
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