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Jean-Robert Pitte : « Le Japon est profondément optimiste »
15/03/2011 10:58
Géographe, ancien président de l'Université Paris Sorbonne, Jean-Robert Pitte cultive une passion ancienne pour le Japon. Pour Marianne2, il revient sur le drame qui secoue le pays du soleil Levant. Loin de tous les catastrophismes, Jean-Robert Pitte décrit l'optimisme fondamental qui caractérise les Japonais, un peuple qui n'avance que de crises en crises.
Comment évaluez-vous la gravité de la situation au Japon ?
Jean-Robert Pitte: La situation est grave, elle pourrait s’aggraver mais arrêtons de considérer qu’elle ne peut que s’aggraver. Je suis scandalisé de voir les Verts considérer qu’on est au pire du pire, que c’est pire que Tchernobyl. Le Tsunami est une chose malheureusement connue au Japon, ce n’est ni le premier, ni le dernier. Je suis scandalisé par cette vision catastrophiste véhiculée par les médias qui laisse à penser que tout fout le camp, que l’économie japonaise mettra des siècles à se redresser etc.
Le Japon vit avec le risque permanent des catastrophes naturelles. Dans le cas présent vient quand même se surajouter le danger nucléaire ?
C'est une catastrophe naturelle qui est devenue catastrophique parce qu’il y a des gens qui habitent au bord de la mer dans un secteur pas assez protégé. Mais avec de telles vagues, on ne voit pas quelles protections il pourrait y avoir…Cela dit, c’est certain que le Japon vit, en permanence, avec ce risque au dessus de sa tête. C’est d’ailleurs la première fois que l’on voit un Tsunami en action. Lors du Tsunami qui a eu lieu en Thaïlande il y a trois ans, on a vu les dégâts après. Là on voit bien que, quelles que soient les techniques dont on dispose, il n’y a pas grand chose à faire. Les Japonais se disent qu’un jour il y aura un Big One à Tokyo. Mais ce dont les gens ne se rendent pas compte c’est que les tours de Sendai ou de Tokyo ne sont pas tombées. On voit les immeubles « danser » à la télévision mais ils ne s’écroulent pas. Je croise les doigts pour que n’arrive pas la grande catastrophe nucléaire, je n’ai aucune idée de ce qui arriverait si un nuage nucléaire arrivait sur Tokyo, mais pour ce qui est du Tsunami, le Japon va s’en relever.
Le Japon a déjà connu des épisodes aussi graves dans son histoire, le tremblement de terre qui a touché Tokyo en 1923, la Seconde guerre mondiale, et le tremblement de terre de Kobe en 1995. Comment avait réagi le pays ?
On enterre ses morts, on remonte ses manches et on reconstruit. En 1923, c’était un grand drame. Le séisme n’était pas très fort, mais c’était au cœur de la capitale à midi et le chauffage se faisait au charbon de bois, donc il y a eu des incendies gigantesques. Ca a été un grand choc mais c’était l’époque où le Japon était galvanisé par l'idée de devenir une grande puissance, acquérir un empire colonial et été influencé par le modèle européen des grandes dictatures. La seconde guerre mondiale est bien plus « extraordinaire »: toutes les grandes villes ont été rasées, toutes les infrastructures industrielles ont été détruites, il ne restait que les terres agricoles. Le tout dans des conditions d’humiliation très difficiles compte tenu de la façon dont on avait galvanisé les gens autour de l’idée du Grand Japon. Ce qui est fantastique, c’est que, 20 ans après, ce pays détruit intégralement était devenu la deuxième puissance du monde avec une population assez restreinte. C’est un relèvement d’une rapidité extraordinaire, bien dans la mentalité japonaise, l’idée que tout est impermanent, rien n’est stable, les catastrophes nous pendent au nez et quand ça arrive, on repart. Ce n'est pas une civilisation de l’abattement. Il y a un optimisme fondamental que nous n’avons pas chez nous.
Comment est perçue la classe politique confrontée à une crise comme celle là. Le peuple japonais est-il solidaire du gouvernement ?
Le gouvernement n’est pas populaire et les critiques fusent déjà sur sa gestion des secours, mais un gouvernement est rarement populaire au Japon. Ils n’accordent pas la même importance à la chose politique que nous. C’est vrai que leur classe politique n’est pas très bonne, mais le pays n’est pas si mal géré que cela. Ce n’est pas la classe politique qui dirige le Japon, ce sont les entreprises, les structures intermédiaires, les maires jouent un très grand rôle. Le sommet de la hiérarchie n’a pas beaucoup d’efficacité, les gens prennent leur responsabilité là où ils sont. Et il y a évidemment l’Empereur -qui se fait bizarrement très discret depuis le séisme-, le père de la Nation, qui a encore moins d’influence que la Reine d’Angleterre mais qui est essentiel. Si vous enlevez l’Empereur, tout s’écroule.
Cette fois, le Japon a accepté toutes les aides extérieures, ce n'est pourtant pas dans leurs habitudes ?
Effectivement, ils ont été très échaudés par l’affaire de Kobe, qui affecté un grand port du Japon. Ils se sont rendus compte qu’ils n’étaient pas préparés. Les services de secours n’étaient pas au point et le port a été dévasté alors que c’était un des grands ports d’entrée des produits importés pour le Japon.
Cette catastrophe est-elle susceptible de remettre en cause la filière nucléaire ?
Les Japonais, on comprend facilement pourquoi, ne sont pas favorables au nucléaire. Les gouvernements successifs s’y sont ralliés parce qu’ils n’ont pas de matières premières mais l’opinion est très contre. Pour autant, une telle catastrophe donnera lieu à des débats mais ne remettra pas en cause la filière pour la simple raison qu’il n’y a pas d’alternative. Il y a des alternatives à long terme mais pas dans l’immédiat. Cet accident va permettre de faire des progrès en terme de sécurité comme tout accident.
Naoki Inose, un historien, par ailleurs vice-maire de Tokyo explique que les Japonais n’avancent que de crises en crises ?
Au cours des années 80-90, tout le monde écrivait « Le Japon c’est fini ». Il est toujours la troisième puissance et il n’a perdu sa seconde place que parce que la Chine a connu une croissance incroyable. Le Japon a connu une croissance plus faible au cours de ses 30 glorieuses mais c’est un pays qui marche, qui est très impressionnant. Les Japonais disent « c’est la crise » quand ils font 5% de chômage et 3,5% de croissance ! C’est ce que j’aime dans ce pays. Les gens se remettent en cause, ils cherchent des solutions à tous leurs problèmes. C’est passionnant. La vraie grande qualité du Japon c’est d’être aux aguets des idées nouvelles et ils « japonisent » tout ce qu’ils empruntent, religion, technique, architecture, culture, politique etc.
On est surpris et admiratifs de la dignité, la sérénité et la force collective dont fait fait preuve le peuple japonais dans un drame de cette ampleur ?
Les Japonais pleurent leurs morts mais ils ne cherchent pas un bouc émissaire. Cela témoigne aussi d’une certaine attitude vis à vis de la vie et de la mort. L’occident qui a une peur panique de la mort et du vieillissement devrait en avoir une vision plus détachée. Les Japonais n’attendent rien pour après, parce que la vie et la mort sont confondus, il n’y a pas de frontières entre les deux. C’est quelque chose qui est profondément ancré en eux et qui explique aussi, en partie, la réaction du peuple japonais face à ces catastrophes. Là aussi, l'occident aurait beaucoup à apprendre, notamment une certaine sérénité vis à vis de ce qui peut nous tomber sur la tête.
Propos recueillis par Régis Soubrouillard
Illustration : La grande vague de Kanagawa par Hokusai (cc flickr Natsuki)
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