En partance pour la frontière tuniso-libyenne, notre reporter Guy Sitbon nous envoie un premier reportage d'ambiance. Pour le moment, l'armada occidentale plane à des milliers de km tandis que les troupes de Kadhafi sont au ras du sable.
Quand on aime, on ne compte pas et les ados libyens adorent Sarkozy. Ils lui prêtent les exploits d’un Superman des déserts. D’une seule main, Sarko bombarde le Quartier Général de Kadhafi, met en déroute les colonnes loyalistes, dégage Benghazi assiégé et pulvérise l’aviation ennemie. L’hymne des sarkolatres est devenu un tube martelé sans trêve : « One, two, three/ thank you Sarkozy. » Les trois couleurs flottent comme jadis le drapeau rouge de l’Internationale Communiste, la France est portée aux nues.
Hélas, ces hauts faits d’arme n’ont été observés que dans l’imaginaire des jeunes gens. Nos Mirage ont cepednant réellement mis le feu à une concentration de chars et de véhicules kadhafiens aux environs de Benghazi et les locaux, les doigts en V, ont fait de cette bataille un Austerlitz à leur actif.
Jusque là, on se battait au lance-pierre, ou presque. Les soldats improvisés de la liberté trainaient leurs kalachnikovs comme des fusils de bois. L’armée gouvernementale faisait à peine mieux avec ses armements hors d’âge, ses effectifs en perdition, ses officiers ventrus infichus de disperser une rébellion anémique. Les kadhafistes massacraient en masse mais avaient du mal à concrétiser leur suprématie.
Soudain, samedi dernier, les Occidentaux s’amènent. Destroyers impressionnants, sous-marins dernière génération, débauche de numérique, porte-avions, Mirage, missiles de croisière tomahawks. En un clin d’œil, on passe de la guerre du feu à la guerre des étoiles. Les généraux américains se donnent des allures de Mac Arthur dans la bataille du Pacifique. On va voir ce qu’on va voir.
On n’a pas vu grand-chose. Beaucoup de bruit, images de sinistre mémoire, conférences de presse au Pentagone du genre « je sais tout mais je ne dirai rien ». Et le lendemain, Kadhafi était toujours vivant. Il continue à faire le zouave et à amuser la galerie. Pour ne pas perdre la main acquise avec les infirmières bulgares, il enlève par-ci, par-là des journalistes.
Quand aux Libyens, ils ne savent plus comment ils s’appellent. Ils s’attendaient à des opérations de commandos discrètes. Des livraisons d’armes. Quelques vieux routards de tous les champs de bataille. Des coups de balai propres à mettre en déroute une armée déjà à moitié écroulée. Et ils ont vu arriver une armada aérienne hallucinante, une marine ultrasophistiquée et personne pour mettre un pied sur terre. Comme il se trouve que Kadhafi et les siens résident au ras du sable, la rencontre devient problématique. On en est là. Mais les choses vont vite changer.
Guy Sitbon - Marianne