Les résultats médiocres de la majorité coïncident avec la publication d'un sondage calamiteux pour le Président. Pour autant, la gauche, toujours dans l'incertitude et la division, ne saurait pavoiser. Quant au Front national, qui améliore son score du premier tour, pour lui, tout reste à faire.
Quelle dégelée ! Jamais sans doute depuis le début de la Ve République, la droite française ne s’est retrouvée dans un état aussi calamiteux que ce soir. Même en 1981, même en 1997, les hommes et les femmes de la droite n’ont eu autant de raisons de pleurer.
Premier constat, le bilan du sarkozysme est catastrophique sur un plan électoral : en quatre ans, il a réussi à faire du Front national, mouvement jugé déclinant, voire moribond (à peine 4,5% aux législatives de 2007) un parti qui le talonne et le dépasse souvent localement : le Front national dépasserait en moyenne les 40% dans les 402 cantons où il était représenté au second tour. Cette performance résume à elle seule la défaite diu sarkozysme : l'appel aux abstentionnistes, le souhait — mitigé — d'un Front républicain ont échoué lamentablement.
Mais il y a plus grave : le sondage Ipsos complète très désavantageusement la déroute électorale cantonale. Quel que soit le candidat socialistes (hormis Ségolène Royal), Nicolas Sarkozy ne passerait pas la barre du second tour ! Pour la première fois, l'hypothèse d'une élimination du candidat de la droite dès le premier tour (le fameux 21 avril à l'envers), n'est plus fantaisiste, elle entre dans le champ du possible, voire du probable. Il est d'ailleurs frappant de constater que le chef de guerre Sarkozy ne profite guère de son initiative militaro-diplomatique en Libye.
En d’autres temps, une telle contre-performance pourrait être surmontée à droite, par exemple en changeant de gouvernement. Malheureusement pour Sarkozy, la cartouche du remaniement a déjà été tirée. La droite pourrait aussi changer de candidat pour le prochain scrutin. Ce serait sans doute le plus raisonnable et une année suffit largement pour crédibiliser une nouvelle personnalité. Les anciens se souviennent comment Georges Pompidou avait su montrer en puissance en démissionnant après mai 68 pour préparer la relève de de Gaulle en 1969. On se rappelle bien aussi comment le jeune Giscard d'Estaing avait éliminé son concurrent Chaban-Delmas en 1974 avec la complicité d'un certain Jacques Chirac. A cette époque, ce que l'on appelait la bourgeoisie savait s'organiser de façon rationnelle pour préserver ses intérêts. Ce n'est plus le cas.
Qui, dans le camp de la droite aura le culot de prendre le petit Nicolas par les épaules en lui disant : « Mon ami il faut rentrer chez vous et laisser la place à quelqu’un d’autre moins usé par le pouvoir.» Personne. Nobody. Niemand. Pour une raison simple : en prenant la tête de l'UMP que Jacques Chirac a dû lui céder durant son deuxième septennat, Nicolas Sarkozy a mis en place une machine univoque, une véritable cour. Aujourd'hui, c'est même l'ex-chiraquien François Baroin, à qui personne n'avait rien demandé, qui déclare que ce serait « folie » pour la majorité de changer de cheval si prêt du poteau d'arrivée de 2012. Ah bon ? Ce serait folie de réfléchir à changer un candidat-président passé sous la barre des 20% dans les sondages ?
Pourtant, à partir de lundi, chaque député UMP va se lever le matin en se demandant par quel miracle il peut être réélu dans une circonscription où le Front national menace de faire plus de 20%. Faisons confiance aux députés UMP : leur obsession à eux n'est pas la réélection de Nicolas Sarkozy mais la leur propre. Et ils savent bien que le rebond de leur champion devient chaque jour plus difficile à imaginer.
Ce n'est pas sa faute, nous dit Jean-François Copé, mais celle de la crise. La crise. Financière, économique, sociale, il nous l'aura martelée ce soir, cette crise, le bon docteur Copé. Mais on croyait que cette crise, justement le Président avait su l'affronter mieux que tous ses collègues des autres pays ? On croyait que super Sarko avait permis à la France de s'épargner une récession ? Apparemment, les électeurs n'ont rien compris.
Qui donc peut se lever à droite et prendre en main les intérêts de la majorité ? On a évoqué les cas de François Fillon et d'Alain Juppé. Les deux hommes sont sans doute appréciés dans ces restaurants bourgeois de province. Mais ils semblent bien, surtout le premier nommé, avoir loupé le coche jusqu'à présent. Et surtout, il va devenir difficile, dans Sarkoland, de bouger une oreille sans se faire canarder par les hommes du Président. C'est comme ça : même affaibli dans le monde et dans le pays, même déconsidéré parmi les siens, Nicolas Sarkozy garde toutes les clefs de la droite pour la campagne de 2012. Et comme il a organisé son camp comme la Cour de Louis XIV, il ne manquera pas de courtisans pour lui sussurer, dès potron minet, que, finalement, la piètre performance des cantonales est une bonne nouvelle puisque, après avoir touché le fond de la piscine, on ne peut que remonter. Courage Nicolas ! Hardi petit, il ne reste que 7 ou 8 millions d'électeurs à reconquérir...
En réalité, la stratégie sarkozyste a échoué des deux côtés : en radicalisant son discours, il écarte de lui la fraction centriste de son électorat tout en convaincant ses électeurs les plus sensibles aux thématiques d'immigration et de sécurité que voter FN est le plus sûr moyen de faire changer les choses. Mais il y a fort à parier que les vrais déterminants électoraux ne résident pas dans cette opposition entre la droite républicaine et humaniste et une droite radicale et dure. Contrairement à ce que professe le staff de Nicolas Sarkozy, les électeurs n'ont pas apprécié sa conduite du pays en temps de crise. La mauvaise humeur des électeurs est avant tout le résultat de la crise sociale : l'anxiété s'est répandue des classes populaires vers les classes moyennes et une majorité de Français sont tous simplement fatigués du néolibéralisme. Cela devrait laisser toutes ses chances à la gauche.
Sauf que si le PS sort victorieux de ces cantonales en remportant notamment les Pyrénées-Atlantiques et le Jura, il n'est pas triomphant. La plupart des caciques de Solférino se sont en effet relayés dans les médias pour en appeler à « l’humilité ». À commencer par Martine Aubry. Mais cette dernière a surtout profité de son allocution pour se projeter : cap sur la présidentielle et les législatives qui suivront. Le Parti socialiste, a-t-elle expliqué, a désormais une « responsabilité » — celle de « réparer la France » — et un « devoir de victoire ». « Tout commence ce soir », a-t-elle conclu son intervention.
Mais si « l’humilité » est de rigueur, c’est surtout parce que la gauche et le PS vont aux devants de grandes difficultés. Ce sont bien elles qui « commencent ce soir ». Car les résultats de ce dimanche soir confirment, par exemple, la prochaine sortie du bois de François Hollande. L’ancien Premier secrétaire du PS avait fait savoir que sa reconduction à la tête du Conseil général était la première marche qu’il lui fallait gravir pour pouvoir se lancer dans les primaires. Et déjà certains à « Solfé » croit savoir que François Hollande pourrait décider de griller la priorité à Martine Aubry en se déclarant début avril, juste avant que le maire de Lille ne présente le projet du PS pour 2012… Du côté des soutiens de la Première secrétaire, on voulait surtout voir, hier soir, dans cette victoire des cantonales un formidable « marchepied », un parfait « tremplin » pour elle… Si elle se décidait à emprunter rapidement ce « tremplin », Dominique Strauss-Kahn aurait, il est vrai, toutes les difficultés du monde à revenir dans le jeu. Bref, le bal des egos pourrait redevenir le pas de deux préférés des socialistes…
Mais ça n’est pas la seule difficulté à laquelle le PS va être confronté. Car si hier soir Martine Aubry a affirmé avoir à cœur le « rassemblement de toute la gauche », les dirigeants des formations « satellites » du PS, à l’image de Jean-Luc Mélenchon et de Cécile Duflot, ont eux bombé le torse sur le thème « on pèse, on ne se laissera bouffer aussi facilement ».
Une droite en décapilotade face à une gauche divisée et encore largement indéterminée. Marine Le Pen et ses amis du Front national ne pouvaient rêver meilleur scénario : le front républicain a vécu, les candidats FN ont enregistré entre 10 et 17% de suffrages supplémentaires entre le premier et le second tour, insuffisant pour disposer de plus de deux candidats élus aux cantonales. Mais suffisant pour devenir le véritable pivot du prochain scrutin présidentiel.
Marine Le Pen aurait tort cependant de se réjouir trop vite. Rassembler 25 ou 30% des électeurs derrière des candidats qui n'ont pas mis le nez dehors de toute la campagne - comme cela est arrivée dans un certain nombre de cantons - est une performance faussement encourageante. Dès lors que le Front national atteint le niveau où il se situe aujourd'hui il sera jugé autrement. Avec qui pourrait-il gouverner ? Sur quel programme positif ? Qui seraient ses ministres ? En proposant dimanche soir de devenir un « pôle de rassemblement » (et non de gouvernement) on comprend que la présidente du Front national a voulu faire un clin d'œil aux élus umpistes. C'est habile, mais terriblement politicien. Et surtout cela montre que le discours « ni droite ni gauche » du Front national n'est peut-être pas destiné à devenir éternel.
Philippe Cohen et Gérald Andrieu - Marianne