Quel que soit l'objectif que l'on fixe au opérations aériennes en Libye commencées le 19 mars 2011, force est de constater qu'elles sont pour l'instant un échec complet.
Kaddhafi est toujours au pouvoir, aucun cessez-le-feu n'a été conclu et les civils ne sont pas protégés (notamment des les villes insurgées de Tripolitaine, telles que Misrata).
Pire, si la situation paraît temporairement stabilisée en Cyrénaïque, Benghazie n'étant plus menacée par les forces loyales à Kaddhafi, le front s'est stabilisé pour l'instant au goulet d'étranglement le plus à l'Est entre les deux provinces côtières libyennes : Brega (comme je l'avais d'ailleurs écrit ici).
Pour faire suite aux précédents débats, je tiens à préciser ici deux points importants avant d'anayser plus avant les causes de la situation actuelle :
- cet échec ne s'apprécie qu'à l'aune des résultats obtenus au 3 avril 2011, et ne présume pas d'un succès final obteu ) à la suite d'un changement de stratégie, notamment en modifiant les stratégies d'emploi et l'effort (passant du court terme vers le long terme)
- cet échec, je ne m'en félicite pas et surtout j'espère qu'il restera temporaire (ce qui est le plus vraisemblable).
Ces deux précisions essentielles données, allons plus loin dans l'analyse des causes de l'échec de la campagne aérienne rapide engagée le 19 mars, elles sont nombreuses et portent pour partie sur des points qui intérèssent la démarche globale de ce blog. Je renvoie également à l'interview du Général Desportes qui rejoint parfaitement mon analyse de cette guerre (sur mediapart ici, avec des extraits sur divers blogs comme ici)
Les causes de l'échec au 3 avril
Cette opération a été lancée sans objectif clairement défini et lisible :
Même en tenant compte de la confidentialité inhérente aux opérations militaires en cours (et qui doit normalement porter sur les moyens engagés et non sur les buts à atteindre), on ne sait toujours pas exactement pourquoi nos Rafales sont partis bombarder les blindés usés des forces libyennes...
Est-ce pour sauver les insurgés ? Alors il faudrait arrêter car c'est atteint...
Est-ce pour protéger les civils ? Outre qu'une frappe aérienne ne protège pas des civils (c'est une force d'interposition au sol qui le fera), c'est pour l'instant un échec en Tripolitaine.
Est-ce pour faire tomber Kaddhafi ? C'est un des objectifs avoués parfois, évident dans les faits et qui a complètement raté. Comment en aurait-il été autrement (cela avait déjà raté en 2003 avec Saddam Hussein, et même au Kosovo, Milosevic a du reculer mais n'est pas tombé du fait de la campagne aérienne de l'OTAN - d'ailleurs une approche exclusivement "indirecte" n'aboutit jamais à la reddition de l'ennemi, comme l'écrit un de nos meilleurs penseurs militaires actuels, le Colonel GOYA : "on ne se rend pas à un missile de croisière").
Bref, une opération commencée sans objectif se résouds en une série d'engagements tactiques sans cohérence, ni véritable chance de succès.
Cette opération a fait l'objet de mauvais choix :
- le choix du multilatéralisme : inutile du strict point de vue militaire (seuls les USA, la France et le Royaume-Uni assument le poid des opérations), les tergiversations qui ont amené les coalisés à attendre l'adoption d'une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU ont eu des conséquences dramatiques sur l'absence de succès actuel de l'opération :
- le mauvais timing : une offensive trop tardive : Kaddhafi a eu le temps de pallier aux défections de son armée, et de ressaisir le contrôle de la Tripolitaine, et des services de l'Etat, puis de rassembler des mercenaires (grâce aux pétro-dollars, donc grâce à notre argent) pour contre-attaquer.
- le choix d'une action exclusivement aérienne : C'est la plus décisive des erreurs stratégiques, car en affichant dès le début leurs limites, les coalisés ont donné les clés de la résistance aux loyalistes libyens qui savent qu'ils ne risquent rien sur le terrain avant longtemps. L'offensive aérienne lancée avec l'assurace qu'elle ne sera suivie d'aucune offensive terrestre sérieuse (je laisse de coté les insurgés qui vont mettre du temps avant de constituer une force suffisante pour menacer la Tripolitaine), place la coalition dans la position du bluffeur qui a dévoilé tous ses atout avant le début des enchères.
Mettons-nous dans le camps d'en face le 19 mars 2011 quelques secondes :
Ils ont réussi à reconquérir toute la Tripolitaine (à part Misrata) et notamment la région de Tripoli, ils sont maîtres du terrain et disposent d'une force importante en train d'avancer sur Benghazi. Les pertes seront sensibles mais l'histoire montre qu'à part au Kosovo (et l'Irak en 1941), aucune opération aérienne n'a été décisive à elle seule. Par conséquent, rien ne menace le pouvoir en place qui doit donc tenir dans la durée.
Et de fait, ils font même mieux puisqu'après un moment de flottement, ils ont privé les insurgés des revenus pétroliers en contrôlant Ras Lanouf.
Ce qu'il aurait fallu faire
Agir beaucoup plus vite (dès le début de la répression) afin de mettre les insurgés en position de menacer Tripoli (depuis l'Ouest - Zaouya, et l'Est, avec la région de Misrata), pour couper Kaddhafi de son sanctuaire de Sirte, et rendre sa position intenable, ce qui aurait accéléré les déféctions et empêcher la reconstitution de forces loyalistes par l'apport de mercenaires (venant notamment du Sud).
Une campagne aérienne assortie d'une action à terre ciblée aurait pu suffire.
Malheureusement, une fois que le contrôle de la Tripolitaine est acquis à Kaddhafi, les choses deviennent bien plus difficiles, surtout lorsqu'on s'interdit même la simple menace d'un débarquement !
Ce qui peut se passer maintenant
L'évolution la plus probable va être une partition de fait de la Libye, dans le cadre d'un scénario à l'Ivoirienne. La résolution de cette partition ne pourra intervenir que bien plus tard, et dans tous les cas, l'offensive aérienne (qui coûte chaque semaine à la France plusieurs millions d'euros) va se poursuivre. C'est d'ailleurs ce qui semble sur le terrain se dessiner avec le minage par les loyalistes des positions à l'Ouest de Brega.
Un accident décisif (défection majeure, mort soudaine...) amenant un renversement de Kaddhafi reste possible en théorie. Dans ce cas, qui serait la meilleure des hypothèses, il n'y aura pas de quoi pavoiser, le succès ayant une origine extérieure à nos actions militaires.
Enfin, l'inefficacité de ta ltechnologie occidentale face à des dictateurs incrustés sur le terrain va à plus long terme fragiliser l'Occident. Engagée pour de mauvaises raisons (sondages), au mauvais moment (trop tard en Libye et alors que notre endettement est exponentiel) et avec des moyens inadéquats, cette affaire peut prendre une très mauvaise tournure.
Le sens profond de ce premier échec (temoraire espérons-le)
La raison profonde, qui donne tout son sens à cet échec est avant tout en lien avec le refus d'une action unilatérale et le choix contre-productif d'un multilatéralisme de façade.
En se contraignant à solliciter l'autorisation de pays opposés à cette intervention, alors que rien ne l'exigeait, la France et ses alliés s'est mise dans la situation de ne pas pouvoir gagner en n'intervenant ni au bon moment (trop tard) ni avec les bons moyens (interdiction de troupes au sol).
Or, ce multilatéralisme transformé en nécessité vitale est le fruit de la conjonction d'une auto-intoxication (souvenez-vous, la France n'est plus capable de rien toute seule) et d'une politique de défense déplorable, rognant depuis des années des moyens qui nous manquent aujourd'hui, et qui nous feront de plus en plus défaut dans les années à venir.
En d'autres termes, soit la France adapte sa politique étrangère à ses moyens militaires et politiques (et notamment son courage d'assumer ses actions unilatérales), et nous regarderons les prochaines révolutions écrasées dans le sang à la télé,
soit la France veut continuer à avoir un rôle dans le Monde (et dans l'Histoire), et il faut d'une part un nouvel effort pour développer la force numérique de notre défense (et oui, en Libye ce qui fait défaut, c'est le nombre pas la qualité), et d'autre part, une autre idée de nos capacités, notamment unilatérales.
Car la France n'est pas un petit pays, ni par son aura, ni par ses capacités.
Cessons de penser "petit" et nous pourrons alors aspirer à autre chose qu'à des guerres sondagières.
Le formidable élan des peuples musulmans vers la démocratie mérite mieux que ces opérations de marketing politique à la petite semaine....
Verdun