Martine Aubry aurait aimé qu’il s’appelle « L’avenir aime la France ». Finalement, cet intitulé n’a pas été retenu. Le projet socialiste pour 2012 s’appellera « Le changement ». Un titre sobre, mais efficace ? C’est là toute la question. Petit tour d’horizon non-exhaustif de ce projet en trois points : les points forts, les faibles et les flous.
LES POINTS FORTS :
300 000 emplois d’avenir. C’est, avec les 10 000 recrutements dans la sécurité (voir ci-dessous) la seule promesse chiffrée du programme. Elle rappelle évidemment les « emplois jeunes » de Lionel Jospin en 1997. Pour une bonne raison : les socialistes font l’analyse que le premier facteur de la crise des classes moyennes se situe dans les difficultés d’insertion des jeunes dans la vie professionnelle, comme il y a quatorze ans; 660 000 moins de 25 ans sont inscrits à Pôle emploi. En embaucher un sur cinq dès 2012 pour cinq ans modifierait le comportement des entreprises, qui seraient alors poussées à présenter enfin aux jeunes diplômés des emplois en CDI à plein temps.
Par ailleurs 300 000 emplois, financés par la suppression de l’aide fiscale aux heures supplémentaires, apporteraient un surplus de 0,5% à la croissance. « Ce n’est pas la croissance qui crée l’emploi, mais l’emploi qui génère la croissance », explique le patron du Conseil d’analyse économique du PS, Pierre-Alain Muet. Certes, mais le risque des emplois d’avenir, c’est de provoquer le déclassement des jeunes diplômés dans des jobs plus proches de la voie de garage que du tremplin.
La fiscalité plus progressive. Depuis le temps que les socialistes en parlent, ils vont peut-être arriver à établir l’impôt citoyen. A savoir la fusion de l’impôts sur le revenu des personnes physiques avec la Contribution sociale généralisée. L’idée avait déjà été adoptée en 2005 lors du congrès du Mans, puis mise en veilleuse par la candidate Ségolène Royal. Elle ressort cinq ans plus tard, renforcé par les thèses du livre Pour une révolution fiscale de Thomas Piketty et Emmanuel Saez. La véritable révolution de « l’impôt citoyen », sera de le rendre progressif comme l’IRPP, mais assis sur quasiment tous les revenus, comme la CSG. Adieu donc les prélèvements libératoires favorables aux revenus de l’épargne. Cet impôt devrait donc être doublement redistributif : des épargnants vers les travailleurs d’une part, et des riches vers les pauvres d’autre part. A quel niveau ? Pour le moment c’est encore un mystère puisqu’on ne connaît pas les taux de ce futur impôt. Sans doute les candidats à la primaire socialiste nous indiqueront-ils leurs intentions ?
L’Europe protectionniste. C’est sans doute une des évolutions les plus fortes du Parti socialiste, qui affirme pour la première fois dans un programme la nécessité de « protéger les intérêts de l’Europe, de ses savoir-faire et de des salariés dans la mondialisation », et propose « d’augmenter les droits de douanes sur les produits provenant de pays ne respectant pas les normes sociales et environnementales ». Si l’on ajoute l’idée, plus commune, de l’emprunt européen pour l’investissement dans les infrastructures, les socialistes affichent enfin une attitude exigeante envers l’Europe. Reste une interrogation : et si les partenaires de la France refusent de suivre ce chemin, que ferait un gouvernement de gauche ? Hélas, seul Arnaud Montebourg répond qu’il faudrait être capable de passer outre.
L'immigration plus transparente. Changement notable et appréciable de philosophie de la part du PS en matière d’immigration qui a décidé de ne plus se contenter de prendre le sujet par le seul prisme humanitaire, mais d’aborder aussi cette question d’un point de vue économique. Les socialistes, dont la politique d'immigration était, on l'a oublié, plus restrictive entre 1997 et 2002, que celle des gouvernements Fillon, expliquent ainsi que « l’objectif d’une politique d’immigration maîtrisée et concertée avec nos partenaires européens mais aussi avec les pays d’origine, et les moyens d’y parvenir, seront débattus par le Parlement et feront l’objet d’une loi de programmation et d’orientation destinée à bâtir un consensus républicain. » En clair, tous les trois ans, après discussions avec les partenaires sociaux, les territoires et des universitaires, une loi de programmation et d’orientation pourrait décider du nombre de personnes que la France pourrait accueillir et dans quels secteurs économiques. Selon Sandrine Mazetier, secrétaire nationale à l’immigration au PS, la logique est simple : « Des flux migratoires réguliers permettent d’assécher le travail irrégulier ». Et, effet domino oblige, d’amoindrir la concurrence entre travailleurs réguliers et irréguliers. Cette loi de programmation et d’orientation aura un autre mérite : le débat sur cette question sensible qu’est l’immigration sera enfin public et ne restera pas confiné dans les locaux de la Place Beauvau. Bémol : 45% des migrants (ceux qui bénéficient du droit d’asile et du regroupement familial) pourraient être écarté de ce débat public.
La sécurité n'est plus niée. Autre changement remarquable : le rapport du PS à la sécurité. Les socialistes ont décidé de faire de ce sujet-là — qui l’eut cru — une de leurs priorités. Du pur affichage ? En tout cas, le Parti socialiste a visiblement envie d’envoyer un message aux Français puisque les seuls créations de postes annoncés dans le projet le sont dans les rangs des forces de l’ordre : « Au cours de la mandature, nous créerons 10 000 postes de gendarmes et policiers dont un millier dès 2012. » L’été dernier encore, Jean-Jacques Urvoas, le secrétaire national à l’immigration n’en espérait pas tant. Dans les colonnes de Marianne, il regrettait que Nicolas Sarkozy ait, lui, « supprimé 10 000 postes de gendarmes, de policiers en quatre ans ». Mais face à la « paupérisation financière » de l’Etat, il imaginait devoir s’appuyer sur les effectifs restants et se voyez déjà obliger de les « redistribuer » plus efficacement sur le territoire, en les concentrant notamment sur « les 20% de départements qui concentrent 60 % de la délinquance ». Les choses avancent donc au PS. Reste à voir si la mise en pratique sera à la hauteur du discours…
Vers un bouclier rural ? En demandant aux « jeunes médecins libéraux d’exercer en début de carrière dans les zones qui manquent de praticiens », notamment dans les territoires ruraux et les banlieues, Martine Aubry sait que « ça va un peu rouspéter ». « Mais on ne fait pas de politique sans bousculer certains meubles », ajoute-t-elle à très juste titre. Car voilà une riche idée. En tout cas le genre d’idées innovantes et volontaristes que l’on aurait aimé voir plus nombreuses dans le projet socialiste pour 2012. Certes, cette idée n’est pas neuve. Laurent Fabius la portait lors des primaires du parti en 2006. On comprend donc aisément comment elle a fini par revoir le jour puisque c’est un fabiusien, Guillaume Bachelay, qui a rédigé ce programme.
Dans le même ordre d'idée, le PS dispose, dans ses tiroirs, d'un fabuleux outil, le « bouclier rural », susceptible de garantir aux habitants des campagnes l’accès aux services publics de santé notamment. Présent en annexe du document de travail que Marianne2 a publié lundi, il n’apparaît malheureusement pas dans la version grand public…
LES POINTS FAIBLES :
Le budget pour commencer. Comment faire avec seulement 25 milliards d’euros ? Si la vérite d’un programme se trouve dans les chiffres, ceux du « cadrage budgétaire » établis sous l’égide de Pierre-Alain Muet et Michel Sapin sont révélateurs de la terrible contrainte dans laquelle se retrouveront les socialiste s‘ils parviennent au pouvoir en 2012. Les spécialistes du PS estiment qu’à la fin de 2011, la croissance sera inférieure à 2%, le déficit à « environ 7% du PIB » et la dette publique accumulée s’approchera des 90% du même PIB.
La première priorité des socialistes serait donc le désendettement de la France. « C’est incontournable, pour une raison simple : actuellement toutes les marges de manœuvres sont absorbées par le remboursement de la dette (actuellement 50 milliards d’euros par an, ndlr). Diminuer la dette, c’est redonner des marges à la politique économique », explique Michel Sapin. Le projet socialiste compte donc affecter la moitié des recettes nouvelles au désendettement. La croissance espérée (+2,5% par an en moyenne à partir de 2013) apporterait environ 100 milliards d’euros sur cinq ans, et 50 autres milliards proviendraient de la réduction des niches fiscales et sociales édifiées par la droite.
Comme il faut financer la réforme des retraites (50 milliards) que les socialistes ont promis en 2010, il ne resterait que 25 milliards d’euros, soit 5 milliards par an, pour financer les « mesures nouvelles », comme les 300 000 emplois d’avenir ou la prise en charge de la dépendance, l’allocation d’études, etc… C’est très peu. Rappelons que la loi TEPA inaugurale du règne de Nicolas Sarkozy en 2007 coûte 11 milliards d’euros par an à elle seule ! Il faudra donc procéder à des « redéploiements » de dépenses jugées « non prioritaires ». Michel Sapin ne cite qu’un exemple, mais de taille : la construction de 150 000 logements sociaux devrait ainsi être financée par le redéploiement d’une partie des crédits d’impôts accordés aux acquéreurs de logement. Tout à leur réforme de l’impôt sur les revenus, dont l’achèvement pourrait prendre plusieurs années, les socialistes font une impasse de taille en renonçant à revoir les taxes sur le patrimoine, comme l’ISF et les droits de succession.
Sur le salaire des patrons, la copie est à revoir. Les socialistes ont décidé de plafonner les salaires des chefs d'entreprises qui ne devront pas être supérieurs à 20 fois la plus petite rémunération de l'entreprise. Formidable. Hélas, seuls seront astreints les patrons des sociétés publiques. Une dizaine d'entre eux, certes prestigieux, verraient baisser sérieusement leurs rémunérations. Pas de changement, hélas, dans le secteur privé, hors la présence de salariés dans les comités de rémunération de sociétés cotées. Il faudrait que les socialistes comprennent que dans la lutte contre les dérives du capitalisme, le temps des mesures cosmétiques est définitivement passé.
La laïcité. Elle ne figure pas parmi les 30 propositions sensées incarnées les « priorités 2012 » du premier parti d’opposition. Et rien de rien non plus dans l’avant-propos qui accompagne ces 30 propositions, si ce n’est deux phrases sur la laïcité « pilier de notre République », la loi de 1905 devant « être protégée » et « les règles du vivre et de la neutralité dans l’espace public (…) respectées ». Le tout accompagné d’une citation de Jaurès — ça ne coûte rien — et emballé, c’est pesé ! Dans le document de travail daté du 30 mars que Marianne2 s’était procuré, il y en avait un peu plus. Mais le contenu n’en était pas moins affligeant : le PS envisageait alors l’adoption d’une « charte nationale de la laïcité, adossée à la Constitution ». Une charte qui n’aurait finalement pas apporté grand-chose, toute une batterie de textes sur le sujet existant déjà sur le sujet. Il suffit simplement de les faire appliquer. Peut-être que l’idée de l’UMP de doter le pays d’un « code de laïcité » ressemblant à leur charte a-t-elle refroidi les ardeurs socialistes ? Mais au moins, on se rassurera de ne pas voir les socialistes accoler dans leur projet un curieux adjectif au mot laïcité comme l’avait fait Nicolas Sarkozy (« laïcité positive ») ou comme l’a proposé plus récemment Eva Joly (« laïcité raisonnée »)…
Education nationale : rien de neuf. Evidemment, il était difficile d’attendre du PS qu’il prône la fin du collège unique, mais tout de même… En matière d’éducation, le projet 2012 manque cruellement d’ambition et de créativité. Car la plupart des mesures qu’il appelle de ses vœux, à l’image de la « refonte des rythmes scolaires » ou « l’utilisation de pédagogies différenciées », sont soit déjà en chantier, soit même déjà à l’œuvre. Reste la mesure qui sera retenu par les Français : le développement de la « scolarisation à 2 ans ». Si les mères de famille y trouveront un intérêt (pouvoir retrouver le chemin de l’emploi même en cas d’absence de place en crèche), quel sera le gain pour l’enfant ? Une année supplémentaire de sociabilisation ? C’est un peu court. Comme les propositions du PS en matière d’éducation...
LES POINTS FLOUS :
A propos de l’énergie nucléaire civile, les socialistes ont décidé de ne rien décider. Le programme se contente d’annoncer une sortie « de la dépendance du nucléaire et pétrole ». Dans le document de travail que s’est procuré Marianne2, on trouve deux objectifs : 23% d’énergie renouvelable en 2020. Rien de mieux que ce que la droite prévoit déjà de son côté. Et un autre : « 75% d’énergies renouvelable dans notre production d’électricité à l’horizon 2050 ». Ce qui signifierait le remplacement du nucléaire par l’éolien, le solaire ou autres. Les écologistes de EELV ne perdent pas espoir de faire évoluer le PS : « Il y aura d’autres discussions, chez eux, et avec nous pour parvenir à un contrat de législature », assure le député Yves Cochet. Le plus simple pour eux serait une candidature de Martine Aubry, seule à avoir pris position clairement pour une sortie du nucléaire en une quarantaine d’année.
C’est finalement l’ensemble du texte qui baigne dans un certain flou. Et pour cause, il a été conçu comme une simple « boîte à outils » dans laquelle le candidat du PS, quel qui soit, pourra puiser, mettant sur la table du banquet républicain qu’est l’élection présidentielle certaines mesures qui lui sont chères et remisant au cellier socialiste les plus gênantes. Sur la question du Smic, il est par exemple simplement indiqué que « durant la législature, [les socialistes procèderont] à un rattrapage du Smic que la droite a déconnecté de la hausse des prix », sans que ne soit jamais mentionné le moindre montant. On se souvient qu’à l’issue de la campagne de 2007, Ségolène Royal avait, elle, regretté que lui soit imposé par le parti un Smic à 1 500 euros. Certains verront donc dans ce flou généralisé une force (les socialistes, apaisés par cette synthèse consensuelle, ne s’étriperont pas, du moins pas de suite) ou une faiblesse (leurs adversaires, eux, ne manqueront pas de le faire remarquer au risque que ce flou socialiste ne vienne s’installer dans l’inconscient des Français-électeurs).
Gérald Andrieu et Hervé Nathan - Marianne
(dessin : Louison)
http://www.marianne2.fr/Forts-faibles-et-flous-le-projet-du-PS-en-trois-points_a204747.html