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Beyrouth craint les conséquences d'une révolution syrienne
08/04/2011 07:47
Martine Gozlan, envoyée spéciale à Beyrouth, nous raconte comment les Libanais vivent de l'intérieur les tentatives d'insurrection chez le voisin syrien. Pour eux, le détestable régime de Bachar el-Assad possède au moins une vertu : celle d'assurer la paix à Beyrouth.
Quand les Syriens tentent de se révolter, les Libanais se demandent s’ils vont trinquer. Otage des puissances étrangères comme de ses terribles divisions intérieures, brûlé par la mémoire de la guerre civile et des guerres d’Israël, le pays du Cèdre prend les révolutions arabes avec des pincettes.
Le début d’insurrection qui flambe de l’autre côté de la frontière, dans cette Syrie qui n’a jamais vraiment accepté que le minuscule Liban se détache de ses flancs, on en parle bien sûr différemment si on est assis chez Paul, le restaurant branché de Gemmayzé, en quartier chrétien, ou dans un café-chicha de Dahye, l’immense banlieue chiite de Beyrouth, fief du Hezbollah. Le Hezbollah, allié de Damas, règne de facto sur le Liban depuis janvier dernier : il a fait tomber le gouvernement de Saad Hariri et installé le pro-syrien Najib Mikati au poste de Premier ministre. La raison et l’enjeu de la crise : le tribunal spécial de l’ONU sur le Liban tout prêt de rendre ses conclusions sur l’assassinat de Rafic Hariri en 2005. Avec des personnalités du Hezbollah dans la ligne de mire de l’accusation.
Les Libanais ont donc depuis trois mois un Premier ministre qui compte parmi les meilleurs amis de Bachar el Assad. Mais ils n’ont pas de gouvernement, tout le monde se déchirant à belles dents sur une scène politique aussi déchiquetée que la topographie de Beyrouth. Et, franchement, les Libanais s’en fichent. Ils en ont vu d’autres, l’essentiel étant que les kalachnikovs et les bombes ne se remettent pas dans la partie.
Côté chrétien, paradoxalement, on ne se réjouit pas forcément du vent révolutionnaire qui souffle sur les banlieues de Damas, sur Lattaquié ou Deraa. Tout en détestant la Syrie, beaucoup redoutent l’arrivée d’un régime islamiste hostile aux minorités, une guerre civile entre les Alaouites de Bachar et les insurgés sunnites. Comme en Irak, elle pourrait prendre les chrétiens en otage. D’autres applaudissent sans redouter ce scénario. « La liberté des Syriens, ce sera la liberté des Libanais ! », martèle un avocat qui défend la cause des droits de l’homme. Depuis longtemps dans le collimateur des services de renseignements, il dénonce la main-mise des partisans de Bachar et des hommes du Hezbollah sur le Liban : « Ça ne pourra pas être pire si la dynastie Assad tombe, elle nous a fait tout subir… »
Le ton change quand on prend la route de la banlieue sud, à une dizaine de minutes du centre-ville. Ici, on est ailleurs, on a franchi la ligne de démarcation invisible que les Libanais ne parviennent pas à effacer. Les portraits géants de Khomeiny, ceux du Guide de la révolution iranienne Ali Khamenei nous avertissent de notre arrivée en terre iranienne. Celle d’Ahmadinejad, bien sûr, pas celle des millions de jeunes Iraniens qui défient depuis 2009 la barbarie du régime de Téhéran. Et puisque nous sommes à Téhéran, nous sommes bien sûr à Damas, qui chérit Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah libanais. « Cheikh Hassan » comme le nomme avec amour et respect le jeune Ali, 24 ans, qui conduit son taxi dans le dédale de Dahye, vers l’immeuble qui abrite le bureau de presse du Hezbollah. Pour Ali et sa famille, Nasrallah est le héros de la résistance contre Israël et tous ceux qui le soutiennent sont les amis de Dieu, à plus forte raison Bachar el Assad. C’est grâce à Bachar, qui laisse passer vers le Liban les armes iraniennes, que le Hezbollah est fort et le restera, « contre Israël et contre les traitres qui soutiennent les sionistes au Liban ». A Dahye, on ne parle pas de révolution arabe. On a encore toutes les guerres dans la tête. Les pans d’immeubles fracassés racontent celle de 2006. Mais le paysage urbain n’est pourtant pas celui de la désolation. Boom immobilier. On reconstruit fiévreusement. La hâte, la volonté d’effacer les cendres, de faire de la vie sur les gravats ? C’est typiquement libanais, ça ressemble à la reconstruction qui a redonné un visage aux quartiers chrétiens, au centre-ville. L’argent, lui, est surtout chiite. C’est le Hezbollah qui a reconstruit Dahye grâce au mécénat iranien. Grâce aussi aux capitaux du Qatar et du Koweit. L’Etat libanais a mis un peu du sien et on ne lui en est pas du tout reconnaissant.
Pour tout le monde ici, le grand artisan du renouveau immobilier et du reste, le maitre de la gloire, des armes et de l’assistance sociale, c’est « Cheikh Hassan », le pire ennemi d’Israël et le meilleur allié de Bachar. Nasrallah, dont le visage poupin sourit sous les oriflammes jaune et vert du parti de Dieu, au dessus des magasins qui s’appellent « Mesdames », « Jolie Fleur », ou « La Diva », souvenir têtu du passé français de Beyrouth. Les foulards aux motifs cachemire flottent sur les épaules des adolescentes, en manteau cintré ou en jeans, les plus âgées en abaya noire à l’iranienne. Maquillages orientaux, scintillements des lèvres, regards immensément charbonneux. Les instituts de beauté s’étalent sous les affiches des beaux gosses souriant en kalachnikov : dommage, ils sont morts. Ce sont les jeunes « chahids » de la guerre contre Israël. Pas assez d’hommes pour trop de femmes, c’est à Dahye comme ailleurs le drame secret des Libanaises. Les stores beige-marron ou vert fâné, d’une saleté désolante, semblent dissimuler des vies aussi éclatées et mutilées que les façades. Au bureau de presse du Hezbollah, Madame Rana, la responsable de l’accueil, est souriante, photocopie passeport et demandes d’interview. Le Parti de Dieu n’était pas rétif aux entretiens jusqu’à cette imprévisible colère de la rue syrienne. Aïe, que dire, que faire ? Le mouvement est celui des déshérités, il prône la justice sociale, le Hezbollah s’est forgé dans le creuset de la philosophie révolutionnaire chiite, dans le discours messianique des lendemains qui chantent, des pouvoirs corrupteurs, de l’héroïsme populaire, du sacrifice de soi. Ces révolutions arabes le prennent de court, le paralysent. D’accord pour Tunis, puis le Caire où Moubarak n’avait pas hésité à traiter avec l’ennemi sioniste. Ok pour la Libye où Kadhafi, naguère, a fait disparaître l’imam Moussa Sadr, fondateur du mouvement chiite libanais Amal. Mais la révolution en Syrie ? Allons, donc, un complot américano-sioniste ! « Je ne crois pas que nous aurons le droit de parler de cette crise… », nous dira le lendemain au téléphone d’une voix timide la douce Rana. Le porte-parole du parti, Ibrahim Moussawi, a déjà appuyé, depuis le début des troubles, la position de Damas. On ne touche pas à Bachar el Assad…
« Il faut comprendre les raisons du Hezbollah, aucun Occidental n’essaie de se mettre à sa place ni à la place de la Syrie », plaide Talal Atrissi, sociologue qui enseigne à l’université libanaise et qui se définit lui-même comme « compagnon de route » du parti d’Hassan Nasrallah. Dans un café de Hamra, le quartier qui fut autrefois si cher au cœur des Libanais, avant le chaos de la guerre civile, frappé de plein fouet par les combats – il se trouvait dans le camp « islamo-progressiste- et redevenu aujourd’hui gaiement à la mode, Atrissi se glisse dans les arcanes de la pensée syrienne et « Hezbollienne ». Verbatim.
« Premièrement, le début de révolution en Syrie risque de mener à un scénario libyen. Bachar a beaucoup de partisans et le manque d’homogénéité confessionnelle risque de faire basculer le pays dans la guerre civile. Du reste, les appels à manifester ces derniers jours n’ont pas été vraiment suivis d’effet. Les Syriens ont peur du chaos. Si leur président n’a pas réformé comme il le promettait en 2000, en succédant à son père, c’est que la Syrie a affronté à ses frontières en 2003 l’invasion américaine de l’Irak, puis la crise libanaise en 2005 avec le retrait de ses troupes du Liban à la suite de l’assassinat de Rafic Hariri. Puis l’installation du tribunal spécial avec les menaces de mise en cause du pouvoir syrien dans l’assassinat. Enfin, la guerre d’Israël contre le Hezbollah et le Liban en 2006. Tout cela ne donne pas très envie à un régime de s’ouvrir à des oppositions. Bachar a fermé le jeu et s’est rigidifié parce qu’il ne pouvait pas faire autrement. Je le déplore parce que je connais bien les intellectuels de l’opposition syrienne, jamais ils n’auraient dû être emprisonnés, c’est absurde. Mais j’essaie d’expliquer. Les régimes de Ben Ali et de Moubarak étaient menacés de l’intérieur, par leur peuple. Celui de Bachar a toujours été mis en péril par l’extérieur, isolé par les grandes puissances. Et c’est précisément ce qui lui garde ses assises en profondeur dans la population. La révolution, la vraie, n’est pas pour demain en Syrie ».
Le Hezbollah devrait donc être rassuré, selon Talal Atrissi. Et tant mieux, insiste-t-il. Pour lui, le Hezbollah, donc le régime de Bachar, c’est… la stabilité libanaise et la meilleure protection contre la guerre civile ! Bien plus habile propagandiste que les porte-parole du « Hezb », il en convient en souriant, l’universitaire estime que la prise de Beyrouth par les hommes de Nasrallah, les 7 et 8 mai 2008, n’était qu’une « réponse désespérée au projet de milice sunnite de Saad Hariri ». Sommes-nous loin des événements d’aujourd’hui, des peurs libanaises en 2011 ? Non. Le Liban ne cesse de répéter les scénarios de ses divisions. Autant tenter de comprendre pourquoi elles se perpétuent. Le « camp du 14 mars », comme on appelle le vaste mouvement qui regroupe les sunnites et une partie des chrétiens, cherchait donc à recruter 10 000 hommes pour encercler et étouffer le Hezbollah. Les télégrammes dévoilés par Wikileaks font état de rencontres explicites dans ce sens entre le camp Hariri et l’ambassadeur américain à Beyrouth. Ce qui a mis le feu aux poudres, ce fut la coupure de la ligne téléphonique du Hezbollah. A l’époque, les responsables du mouvement chiite n’utilisaient pas de portable, de peur d’être ciblés et assassinés par Israël. Couper leur ligne fixe, c’était donc couper les communications entre les chefs et leur base. Le Hezbollah riposta les 7 et 8 mai 2008 en envahissant Beyrouth. Combats furieux avec les militants du « Courant du Futur », le camp de Saad Hariri. Des dizaines de morts dans la capitale libanaise, dans la montagne druze, à Saida.
Le pays saignait à nouveau, l’Occident ne réagissait pas vraiment. Solitude répétitive et tragique… Talal Atrissi m’explique les raisons du camp chiite pro-syrien, un peu plus tôt Issa Goraieb, le grand éditorialiste du quotidien l’Orient-Le jour, chrétien maronite, m’expliquait celles du camp opposé, pro-occidental : « Nous avons toujours été affreusement seuls… notre sort a toujours dépendu du bon plaisir des grandes puissances, des diktats de la Syrie… » Pendant la guerre civile, la rédaction de l’Orient-le Jour était à Hamra, en pleine zone musulmane. Issa Goraieb vivait à l’hôtel pour tenter d’échapper aux assassinats alors que sa famille vivait à Achrafieh, en zone chrétienne, de l’autre côté du no man’s land. C’est un survivant. Comme tous les Libanais. Comme eux, il attend le jour lointain où son pays lumineux cessera d’être pris en otage.
Martine Gozlan - Marianne
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