C’est une petite musique traditionnellement véhiculée par le Front National et le MPF de Philippe de Villiers et plus dernièrement par Claude Guéant : l’identité de la France serait menacée par l’immigration musulmane. Un fantasme qui ne résiste pas une seconde à l’analyse.
Le fantasme des identitaires
Certaines personnes pensent sincèrement que notre pays est littéralement envahi par des immigrés qui vont finir par se substituer à la population d’origine. Mais cela vient souvent d’un problème de comptage. Ils raisonnent souvent comme si tous les immigrés étaient d’origine africaine et y ajoutent les personnes naturalisées (déjà comptées). Pire, ils maîtrisent mal l’évaluation des flux, comptant 200 000 immigrés de plus tous les ans alors que le solde net est 2 à 3 fois inférieur.
Bref, de multiples erreurs de raisonnement cumulatives les poussent à avoir une vision déformée des flux migratoires et à imaginer une substitution qui est un pur fantasme quand on examine froidement les chiffres, même ceux de Michèle Tribalat. Pour leur défense, la proportion de personnes de couleur en France est sans doute supérieure à celle de l’immigration, du fait de notre histoire et leur concentration géographique accentue les choses, mais cela ne change rien au niveau limité des flux.
L’immigration d’origine africaine
Aujourd’hui, si on part des chiffres de l’INED (nettement supérieur à ceux de l’INSEE), et que l’on estime que 60% des immigrés sont d’origine africaine (entre les chiffres de l’INSEE et ceux de Tribalat / Gourévitch), cela représente 4 millions de personnes sur une population de 65 millions. Mais la particularité de notre pays est d’avoir un solde naturel très positif, de l’ordre de 300 000 personnes par an. Déjà, cela tord le cou au fantasme de substitution, puisque notre population croît fortement.
En effet, il ne pourrait y avoir substitution que s’il y avait remplacement de la population d’origine par des immigrés, ce qui n’est absolument pas le cas puisque la population de notre pays augmente encore fortement et principalement par la forte fécondité plutôt que par l’immigration (qui ne représente que 20 à 25% de notre croissance démographique). Ici, les identitaires rétorquent volontiers que notre forte fécondité vient de notre population immigrée.
Pourtant, l’Allemagne ou l’Espagne, qui accueillent proportionnellement plus d’immigrés que nous (selon l’INED) ont une fécondité beaucoup plus faible, ce qui montre que notre démographie doit plus à notre politique familiale et à notre culture. Le modèle familial Français est différent de celui de nos grands voisins : la norme est d’avoir deux enfants (et autant de familles ont un ou trois enfants) alors que la norme Italienne, Espagnole ou Allemande est de un à deux enfants.
Projections pour le futur
Si on projette les chiffres actuels pour les cinquante années à venir, la vague d’immigration n’est pas prête de changer la nature de la France. Avec un solde net de 40 000 à 60 000 immigrés d’origine africaine par an, on atteint le chiffre de 2 à 3 millions de personnes de plus d’ici à 2060, (soit un total de 6 à 7 millions sur une population de 80 millions d’habitants). Il est évident que de tels chiffres ne changeront pas la face de notre pays, même si les flux étaient doublés.
Bien sûr, les populations d’origine africaine font plus d’enfants. Néanmoins, dès la deuxième génération, les immigrés font autant d’enfants que la moyenne. Mieux, la transition démographique accélérée de l’Afrique a considérablement rapproché nos comportements : l’indice de fécondité en Algérie n’est plus que de 2,4. En clair, même en poussant tous les curseurs au maximum, nous sommes extrêmement loin du phénomène de substitution agité par les milieux d’extrême-droite.
Bref, on peut prendre les chiffres par tous les bouts. Même en considérant les hypothèses les plus extrêmes, la France n’est pas du tout sur la pente d’un phénomène de substitution par des immigrés d’origine africaine. Il ne s’agit que d’un fantasme agité par Marine Le Pen et consorts.
Laurent Pinsolle
Photo : ABC news