Le projet de réforme de la fiscalité récemment présenté par François Baroin à la demande de Nicolas Sarkozy en vue de la présidentielle de 2012 comporte un très beau cadeau pour les possesseurs de gros patrimoines sous la forme d’un spectaculaire allègement de l’ISF. Zoom sur ce nouvel Impôt sur la fortune, et plus particulièrement sur le cas de ces assujettis à faibles revenus, « victimes » de la hausse des prix de l’immobilier...
Les chantres de la droite la plus libérale nous ont servi, depuis des années, la même chanson sur l’injustice de l’ISF, cet impôt scélérat qui, du fait de la hausse des prix de l’immobilier, condamnait de facto à une injuste taxation des braves gens aux revenus modestes – on a même parlé de smicards ! – dont le seul patrimoine déclaré était constitué d’une résidence principale, le plus souvent héritée. Drapés dans leur compassion pour ces malheureuses victimes, ces zélés avocats de la cause des démunis d’Auteuil ou des indigents de Saint-Martin-de-Ré s’empressaient ensuite, avec des airs de divas outragées, de citer, pour illustrer leur propos, quelques cas de Parisiens ou de Rétais enrichis à leur corps défendant. Les Français, pas aussi naïfs que le croyaient ces bons apôtres, ont pourtant bien compris que ce bel élan de générosité visait avant tout, derrière quelques cas aussi rarissimes qu’atypiques, à servir les intérêts des possesseurs de gros patrimoines en revendiquant la suppression pure et simple de l’ISF.
Avant d’aller plus loin, rappelons deux choses : d’une part, le seuil de déclaration était fixé, au 1er janvier 2011, à 800 000 euros ; d’autre part, le Code des impôts prévoyait un abattement de 30 % pour la résidence principale. L’estimation du bien au dessus de laquelle les gens « modestes » précités pouvaient être assujettis à l’ISF était par conséquent de... 1 143 000 euros (1 143 000 – 30 % d’abattement pour résidence principale = 800 000 euros). Sachant en outre que l’ISF est un impôt déclaratif et que les Français sont particulièrement enclins à la sous-estimation de la valeur de leurs biens soumis à taxation, on peut ajouter à cette somme déjà rondelette quelques dizaines de milliers d’euros de dissimulation. Et cela sans le moindre risque pour les déclarants si l’on en croit les agents du fisc et les notaires. Ces professionnels estiment en effet que dans la pratique, une sous-estimation de 10 % de la valeur réelle des biens concernés ne peut entraîner de pénalité. Et pour cause : il n’existe pas une méthode unique d’évaluation du bien, mais plusieurs méthodes (indices notariaux, synthèses immobilières, prix constatés dans le voisinage, etc.) qui débouchent très souvent sur des résultats sensiblement différents. Bref, nos « modestes » propriétaires pouvaient, pour les mieux lotis d’entre eux, vivre dans une masure de... 1 250 000 euros sans débourser un centime d’ISF ! Á cet égard, on se demande comment des gens modestes, et a fortiori des smicards, pouvaient faire face à la taxe foncière (plusieurs milliers d’euros) afférente à un bien de cette valeur, mais ne chipotons pas...
Or, voilà que le camarade Baroin, à l’instigation du très social Sarkozy, vient d’annoncer que le nouveau barème de l’ISF supprime la première tranche de l’ancien barème. Ce qui revient à porter pour tous les contribuables, y compris nos fameux résidants de Paris et de l’Ile de Ré à faibles revenus, le seuil d’imposition à 1 300 000 euros. Compte tenu de l’abattement de 30 %, le seuil réel de la valeur d’un patrimoine seulement constitué d’une résidence principale se trouve par conséquent rehaussé à 1 857 143 euros (1 857 143 – 30 % d’abattement pour résidence principale = 1 300 000 euros), voire, avec la petite sous-estimation évoquée plus haut et implicitement tolérée par l’administration fiscale, près de... 2 000 000 d’euros !
Certes, il est bien connu, et nos libéraux nous l’ont largement asséné, que l’on ne possède pas grand-chose à Paris pour ce prix. Encore que cette affirmation puisse se discuter comme en témoignent, en ligne sur le site seloger.com, ce vaste 206 m² à Trocadéro ou ce luxueux 144 m² à Auteuil. Mais force est de reconnaître que ce sont les provinciaux qui tirent le mieux leur épingle du jeu. Grâce aux « socialistes » Sarkozy et Baroin, soucieux de sauvegarder le pouvoir d’achat des nécessiteux, seront désormais exonérés d’ISF, pour peu que leur patrimoine se résume à leur résidence principale, les possesseurs de ce château renaissance de 850 m² proche de Nantes, de cette superbe maison de maître de 360 m² dans la bonne ville de Toulouse, ou de cet hôtel particulier de 600 m² près de Dijon. Rien que des propriétés occupées par de modestes concitoyens !
Au delà de la question liée à la résidence principale, et sans entrer dans le détail, il faut en outre savoir qu’il existe de multiples cas d’exonération partielle ou totale des différentes composantes du patrimoine d’un assujetti à l’ISF. Des exonérations professionnelles liées à la notion – parfois très élargie – d’outil de travail, mais aussi une longue liste d'exonérations accessibles aux particuliers. Elles concernent, entre autres, les œuvres d'art, les véhicules de collection, les revenus de rentes viagères, les stock-options non levées, les biens ruraux non professionnels, etc. Tout cela sans compter les allègements liés aux investissements dans les PME ou les organismes d’intérêt général. Bref, autant de niches qui permettent de réduire dans des proportions parfois spectaculaires la valeur des biens exposés à l'ISF. Au point que certains titulaires de gros patrimoines échappent totalement à cet impôt par le biais de ces dispositions.
Grâce à la compassion de MM. Sarkozy et Baroin envers des indigents injustement frappés, 300 000 Français, soit près de la moitié des assujettis, seront désormais dispensés d’ISF. Et, cerise sur le gâteau, le taux le plus élevé est ramené de 1,8 % à 0,5 % pour les autres. Une mesure de justice sociale heureusement compensée par le gel de l’indice des nantis de la fonction publique !
Fergus
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