Maurice Szafran revient sur le sondage Ifop pour le JDD qui montre que 36% des ouvriers voteraient pour Marine Le Pen en 2012, loin devant le PS et l'UMP. Et de rappeler à ces deux formations, et notamment au Président Nicolas Sarkozy, leurs responsabilités dans ce fort vote FN dans les « couches populaires ».
Dans Le Nouvel Observateur, son directeur Laurent Joffrin et notre consœur Ariane Chemin (qui, depuis, a rejoint Le Monde) s'étaient raillés de nous. Marianne, selon eux, consacrait trop peu d'efforts à dénoncer Marine Le Pen, préférant s'en prendre à Nicolas Sarkozy et au parti socialiste. Nous n'avons évidemment pas manqué, ici et ailleurs, de répondre à ce mauvais procès qui ne manquait pas d'arrière-pensées notamment commerciales, mais qu'importe. Ce débat ne manquait en effet ni d'intérêt ni de hauteur.
Nous estimions en effet - et nous estimons toujours - que l'apparente irrésistible progression du Front National (confirmée de sondage en sondage) ne valait que par le symptôme affiché : la double tragédie (c'est ainsi que nous l'avions récemment encore exprimé sur la couverture de Marianne) qui frappe l'UMP et le PS : la rupture de la droite sarkozyste avec une série de valeurs républicaines faisant ainsi le jeu de la fringante Marine Le Pen; l'incapacité décidément chronique de la social-démocratie de s'adresser à ce qu'une facilité de langage baptise les « couches populaires ». Et voilà malheureusement - nous aurions préféré ô combien nous tromper, nous égarer... - qu'un sondage de l'IFOP pour Le Journal du Dimanche confirme pour l'essentiel notre analyse.
Une question et trois chiffres: pour qui voteraient les ouvriers au premier tour de l'élection présidentielle 2012 ? Marine Le Pen, 36%; Dominique Strauss-Kahn, 17%; Nicolas Sarkozy, 15%. DSK+Sarkozy = moins que la chef du Front National. Un désastre !
Alors répétons, radotons même, puisqu’il le faut...
Depuis le discours de Grenoble le 31 juillet 2010, le président de la République, son gouvernement et sa majorité ont repris à leur compte une série de thèses identitaires jusque-là défendues par le seul Front national. Nicolas Sarkozy ne s'est pas brutalement, à 56 ans, « fascisé » ; il n'est pas davantage devenu raciste ou xénophobe ; la chasse aux immigrés a tout pour lui faire, en principe et par principe, horreur. Mais, sans vergogne aucune, sans retenue morale ou idéologique, il s'est mis en posture de chasse électorale. Rattraper les électeurs frontistes ex-sarkozystes cuvée 2007, ces fameuses catégories populaires, les ouvriers notamment, désormais en fuite vers le lepénisme new-look incarné par la fille-présidente. Les rattraper à tout prix, ces électeurs, en s'imaginant les séduire par une tentative de lepénisme à peine soft. Or, ce sondage Ifop/JDD rappelle une nouvelle fois que cette tentative semble vouée à l'échec, que le simili lepénisme ne sert pour l'instant à rien, que cet électorat-là, pourchassé par le président-candidat, ne croit plus aux promesses sécuritaro-sociales de Nicolas Sarkozy. La stratégie de Grenoble ? Aujourd’hui, un échec sur toute la ligne, une nouvelle fois confirmé par cette étude d'opinion.
Mais voilà que la position de la gauche socialiste, à deux points près, n'est guère plus reluisante. Gauche bourgeoise, gauche DSK, gauche Aubry incapable elle aussi de parler au « peuple », de lui ouvrir des perspectives, de lui rendre l'espoir en une vie meilleure. C'est en cela, c'est pour cela que nous sommes sévères - certains estiment que nous le sommes trop - avec les sociaux-démocrates de la rue de Solférino, ces petits-bourgeois de gauche qui ne savent décidément s'adresser qu'à leurs pairs petits-bourgeois eux aussi. Ce sera d'ailleurs peut-être suffisant pour vaincre Nicolas Sarkozy. Mais pour gouverner et mobiliser la France ?
Ce sondage, convenons-en, est terrifiant. Non pas seulement parce qu'il dessine une inéluctable progression électorale de Marine Le Pen et du Front National; mais parce qu'il confirme qu'une France en voie de déclassement estime qu'en se retournant vers le FN, elle défie l'autre France, celle de l'UMP et du PS. On peut trouver ce comportement scandaleux, consternant, débile. Il faudra pourtant en tenir compte. Sinon...
Maurice Szafran - Marianne