Sous prétexte d'aller à la rencontre d'une «hors-la-loi», Match nous refait le coup, déjà vu dix fois ailleurs, du reportage photo façon «vis ma vie sous le niqab». Mieux, la journaliste nous explique aller à la rencontre de « celles qui passent outre ». Louise Angelergues propose ici sa relecture de l'article de l'hebdo, teintée d'une douce et amère ironie.
Tout commençait bien, on venait de voir sur dix pages toutes les femmes de la vie d'Alain Delon. On était encore sous le charme des yeux de Romy Schneider et des seins de Mireille Darc (à moins que ce ne soit l'inverse) . Et là, c'est le drame : on tourne une page pour se retrouver nez-à- (presque)nez avec une dame, ou du moins une forme proche d'une dame, en niqab. Plus fort encore, l'article est titré « Niqab ni soumise ». Elégante déformation du « Ni pute, ni soumise ». Donc pour Match, « ni pute » est le jumeau de « niqab ». Donc si l'on continue la démonstration jusqu'au bout, si on n'est pas en niqab, on est une...une...une...? D'accord c'est un peu tiré par les cheveux, mais les cheveux étant les grands absents de ces pages là, ils font ce qu'ils peuvent pour exister.
Tel un publireportage de téléachat, madame Niqab (qui se prénomme en fait Marie, ça ne s'invente pas) nous vend son produit ré-vo-lu-tion-naire ! :
« Avant, j'étais comme vous, je faisais la fête, je fumais du cannabis, je volais dans les magasins. » ( cochez la ou les mentions inutile(s) )
Mais grâce à son super Niqab 2000, Marie passe l'essentiel de ses journées assise sur le canapé du salon (puisqu'elle ne peut pas travailler dans cette tenue), seule (puisque son homme, trouvant l'idée du niqab bien trop radicale, l'a quittée) et attendant toute la journée le moment d'aller chercher ses moufflets à l'école en bus (puisque l'on ne peut pas passer son permis avec un cache-sexe géant). Le tout en espérant ne pas se choper 150 euros d'amende sur la voie publique pour délit de pas-de-gueule. Laissez vous tenter mesdames !
Depuis le 11 avril, Marie elle est colère. Avant, elle pouvait se promener tranquille, les cheveux -noués, voilés, revoilés- au vent. Maintenant, Marie a les pétoches quand elle va acheter ses timbres. Marie souffre. Pourtant, Marie a de la suite dans les idées et a tenté de s'adapter. Le voile intégral est interdit ? Qu'à cela ne tienne, elle peut toujours porter un masque anti-grippe A. Astucieuse la Marie. Hélas au bout de quelques jours elle a dû le retirer, car selon ses propres dires : « Je suis claustrophobe ».
Marie est une femme toute en paradoxes.
La journaliste nous l'écrit, Marie a des formes, « des yeux en amande », une « bouche vermeille et charnue ». Soit. En même temps avec une jambe de bois et du psoriasis plein les joues, est-ce que cela ferait vraiment une différence ? Donc Marie est coquette : elle nous explique qu'elle a tout un choix de couleur et de matières pour ses gants (mais oui les cuticules ça se couvre, c'est HYPER sexuel !!), mais précise qu'elle reste dans des tonalités neutres pour ne pas faire « déguisement »....
Un peu plus loin, Marie apprend que la vie n'est pas un paquet de nounours en guimauve. Depuis le 11 avril, y'a des gens qui font rien qu'à l'embêter et Marie de préciser -« déçue » nous dit la journaliste- que « la plupart [sont] des musulmans ». Bizarrement ça ne lui a pas mis la puce à l'oreille. Faut dire que l'oreille de Marie n'est pas facile d'accès.
Une citation de Marie est mise en accroche dans l'article : « Je ne supportais pas le regard pervers de certains hommes. »
Donc à cause de quelques mâles ayant un peu forcé sur la testostérone, Marie s'est emmurée vivante. Radical.
Et de continuer plus loin dans l'article : « Sans [le niqab], des hommes pourraient voir mes cheveux, mon cou... »
Plus inquiétant, le fait qu'elle pense que se voiler du lobe d'oreille à la voûte plantaire « limiterait les viols, la délinquance ». La délinquance peut être : sauter par dessus le tourniquet du métro en niqab, passez-moi l'expression, c'est coton.
Pour le reste Marie, hélas... ! Du temps où l'on portait des peaux de bêtes à peine mortes jusqu'au temps où l'on s'enroulera dans du papier d'alu, en passant par celui où il fallait l'aide de trois personnes pour s'habiller et de presque autant pour se mettre en pyjama, les femmes ont toujours été potentiellement sujettes à l'agression sexuelle. C'est bien triste, mais ce n'est pas de la faute de la jupe en lycra...
Sur quatre pages, tel un mauvais épisode des aventures de Martine on retrouve donc :
Marie et son niqab vont à la poste.
Marie et son niqab marchent dans la rue et croisent des CRS.
Marie et son niqab prennent le bus.
Marie et son niqab devant l'école.
Marie et son niqab font carnaval (au passage Marie prépare son costume depuis des mois à l'avance, y'a triche.)
Paris Match nous épargne:
Marie et son niqab vont à la plage.
Marie et son niqab font sauter des crêpes.
Et Marie et son niqab vont cueillir du muguet.
A la fin de ces pages « niqabisées », tel un appel d'air de bon sens, on peut lire dans un petit encadré l'interview de Malek Chebel, anthropologue des religions. Telle une mention « fumer nuit à la santé de votre entourage » sur un paquet de blondes, l'anthropologue (dont l'on se demande s'il a été prévenu du cadre dans laquelle son interview allait être diffusée) vient nous rappeler que non le niqab n'a rien à voir avec le Coran et que oui il est une façon de dire « 3615J'existe ! » (www.j'existe.fr pour les plus jeunes de nos lecteurs) pour celles qui le portent.
Par respect pour Marie et son fragile pouvoir d'invisibilité, nous ne publierons pas les photos de Paris Match. Marie veut disparaître aux yeux des autres ? Que sa volonté soit faite.
Louise Angelergues - Marianne