Pour Jean-Pierre Alliot, il a suffit que ce qu’il nomme un chiffon bleu-blanc-rouge soit agité aux dernières élections cantonales pour que surgisse un slogan de 1955 : celui du « Front républicain ». Un contresens à contretemps.
Un retour magique du « Front républicain » a enfumé l’échec général des partis institutionnels aux dernières élections cantonales. Les drapeaux ternis de 1955-1956, les caciques de l’UMP et du PS les ont sortis de la naphtaline pour masquer la route que trace leur politique.
L’abstention massive de mars dernier a montré, une fois de plus, la faillite d’un système : pourquoi voter pour des partis qui, après l’élection, font le contraire de la volonté de leurs électeurs ? Le non au référendum du 29 mai 2005 n’est pas oublié, ni la forfaiture du parlement. En imposant le traité refusé par le peuple, après changement de nom et de la place de quelques virgules, l’UMP et le PS ont franchi un Rubicon. Cela reste dans les mémoires.
Quant à la mémoire des chefs des partis du système, elle défaille autant qu’ils déraillent.
L’expression « Front républicain » est chargée de symboles bien différents de ceux qu’elle montre au premier abord. Elle fait référence à un fiasco politique retentissant, celui qui a marqué la fin de la Quatrième République et donné naissance à la Cinquième et à son « coup d’État permanent ».
Le terme, en effet, a été inventé par Jean-Jacques Servan-Schreiber, patron de L’Express, en décembre 1955, pour préparer les législatives du 2 janvier 1956. Il désigne une alliance électorale formée autour de Pierre Mendès-France, de Guy Mollet, de François Mitterrand et de Jacques Chaban-Delmas, un fidèle du général De Gaulle, alors à l’écart du pouvoir. Le Parti communiste, lui, est absent de ce front.
Deux objectifs avaient été mis en avant. D’abord régler la question algérienne sur la base de négociations, en écartant donc la guerre à outrance voulue par les activistes de l’Algérie française. Ensuite, faire face aux poujadistes. C’est ce mouvement, où M. Le Pen tenait déjà son rôle, qui, en s’attaquant à l’État, visait la République elle-même, ses administrations, ses déficits publics déjà jugés excessifs, etc. C’est donc aussi le mouvement qui semble avoir remporté un succès posthume et avoir convaincu tous les responsables des pouvoirs publics actuels. On se demande ce qui, dans les critères de Maastricht de réduction autoritaire des déficits publics dans les privatisations préconisées par l’Union européenne peut réellement déplaire aux mânes de Pierre Poujade. Et à Mme Le Pen.
Retour à 1956. Avec environ 30% des voix et 185 sièges à l'Assemblée nationale, les listes du « Front républicain » gagnent les élections, ce qui permettra à Guy Mollet de prendre la présidence du Conseil, qui, alors, est le véritable lieu du pouvoir.
Le mois suivant, il se rend à Alger pour y présenter le programme de paix négociée sur lequel il a été élu. Les manifestations des partisans de l’Algérie Française l’émeuvent. Dès mars, il fait voter, avec notamment les voix du PCF, les pouvoirs spéciaux pour mener la guerre contre l’indépendance de l’Algérie. Les réservistes sont rappelés pour « maintenir l’ordre » et le service militaire est allongé de 18 à 27 mois. On connaît le résultat.
En appeler, en 2011, au « Front républicain », c’est, pour le PS, oublier le destin tragique de cette combinaison politique où leur parti, la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO), puisque tel était son nom, s’est discrédité pour de très longues années.
En appeler au refus du Front républicain, c’est, pour le chef de l’État, oublier que, deux ans après les brillants succès de Guy Mollet, le général de Gaulle arrivait au pouvoir et instaurait le régime antiparlementaire* qui lui permet aujourd’hui d’exercer un pouvoir sans limite pratique. Sans autres limites, du moins, que les diktats qu’il négocie avec ses collègues de l’Union Européenne et qu’il présente ensuite au peuple comme la garantie supérieure de la démocratie.
Enfin, en évoquant systématiquement la République dès qu’il est question du Front National, les partis du système jouent un jeu bien trouble. Alors que leur pratique détruit progressivement les fondements mêmes de la République, ils donnent un relief particulier aux slogans nouveaux du Front National. Car ce parti adopte une rhétorique républicaine située à l’exact opposé de son programme réel. C’est peut-être, pour le PS et l’UMP, une manière de le faire entrer dans le jeu institutionnel. C’est surtout la marque du peu de crédit qu’ils attribuent aux valeurs républicaines dont ils se réclament. Et cela signe une aptitude au double langage digne du Janus Bifrons de l’Antiquité romaine. La clairvoyance en moins.
Jean-Pierre Alliot - Tribune
Cet article a été publié dans le n° 48 de « République ! ». Vous pouvez retrouvez d’autres articles en suivant ce lien.
* Il va de soit que ce jugement à l'emporte pièce n'engage que Mr Alliot. Au RGRS, nous pensons au contraire que De Gaulle a, à l'inverse des leaders politiques de l'époque, sauvé la République en la refondant sur un régime plus sain qui limite les outrances du parlementarisme partisan.
http://www.marianne2.fr/L-etrange-retour-a-contre-emploi-du-Front-republicain_a205517.html