Quand un décortique la réforme des services de renseignement initiée par Nicolas Sarkozy, la critique n'est pas tendre. Selon Jean-Jacques Urvoas, député PS, la réforme des services de renseignements aboutit à concentrer un pouvoir politique « trop dépendant » d'un seul homme.
Jean-Jacques Urvoas, député socialiste du Finistère, reconnaît au moins un mérite à Nicolas Sarkozy : celui d’avoir initié une réforme des services de renseignement. Une réforme « à bien des égards louables », mais qui « n’en présente pas moins des travers conséquents », écrit l’élu chargé du dossier « sécurité » au PS, dans un rapport (1) destiné à montrer, à l’approche de 2012, que la gauche n’a plus à l’égard des services secrets le mépris qu’elle cultivait dans les années 70.
La suppression des RG et leur fusion avec la DST, la création d’une délégation parlementaire au renseignement, d’un Conseil national du renseignement et d’une Académie du renseignement témoignent de l’intérêt du président de la République. Un intérêt un peu trop manifeste aux yeux du député socialiste, pour qui Nicolas Sarkozy a « marginalisé le Premier ministre à un niveau d’intensité jusqu’alors inconnu ». « En personnalisant l’usage des services de renseignements, écrit-il, il a jeté le soupçon sur le plus anodin de leurs agissements et sur sa propre légitimité à intervenir dans ce domaine ». Un diagnostic apporté au terme d’une année d’observation menée par avec un groupe de hauts fonctionnaires, de diplomates et de parlementaires.
La réforme menée par Sarkozy est à la fois « partielle » et « inachevée », nous dit Urvoas à l’heure de rendre son rapport public. « Elle est partielle car elle a été conduite avant le rattachement de la gendarmerie au ministère de l’Intérieur, en 2009. Elle est inachevée car elle a quelques défauts. Les services de renseignement (13 000 personnes au total, contre 16 000 en Allemagne et 20 000 en Angleterre) ont de gros muscles, autrement dit une grosse capacité en matière de collecte du renseignement, mais ils ont encore un trop petit cerveau, c’est-à-dire une faible capacité d’analyse qui limite l’intérêt de leur production pour les politiques ». Un pouvoir politique que le député juge « trop dépendant » d’un seul homme, du moins que pour ce qui est du ministère de l’Intérieur : le directeur général de la police, en l’occurrence Frédéric Péchenard, ami intime du président de la république.
« Le renseignement est un outil de pouvoir s’il est bien utilisé, faute de quoi c’est un outil qui manipule le pouvoir, tranche le député. Il doit être au service de l’Etat, et en premier lieu des entreprises ». Pas sûr que l’on y parvienne dans la configuration actuelle, où le renseignement en provenance de la DCRI (direction centrale du renseignement intérieur) et de la SDIG (sous direction de l’information générale), née sur les ruines des RG, transite par le canal d’un seul homme. « Une situation de monopole qui rend le pouvoir politique captif », conclue le député.
Le seul canal qui ait survécu à cette remise à plat, c’est celui du Préfet de police de Paris, fauteuil aujourd’hui occupé par Michel Gaudin, un autre fidèle du président de la République. « Une fois de plus, analyse Urvoas, la Préfecture de police est dans une situation exorbitante du droit commun, puisqu’elle a conservé ses « RG », rebaptisés DRPP ». Un service fort de quelques mille fonctionnaires, presque autant que la SDIG, présente sur tout le territoire. La SDIG que le groupe d’étude désigne comme le nouveau maillon faible : l’information générale serait la laissée pour compte de la réforme, privant le gouvernement de données non négligeables sur la situation sociale ou les communautés étrangères.
« En choisissant d’intégrer l’information générale à la direction de la sécurité publique (NDR : celle qui gère la police au quotidien), l’Etat a perdu quelque chose, analyse Urvoas. Le renseignement et la lutte contre la délinquance relèvent de métiers différents ». Un recul d’autant plus net que le nombre de fonctionnaires rattachés à ce nouveau service est passé de 3 500 en 2007 à 1700 aujourd’hui. Le fait d’avoir placé à sa tête un professionnel de l’ordre public relève, selon le député, d’une « erreur de casting ». « Le maillage territorial est moins bon, insiste-t-il. D’autant plus que les archives des RG ont disparu, privant ces fonctionnaires de leur mémoire vive ». Au passage, le député regrette que ces réformes aient laissé sur la touche les gendarmes, dont la présence sur le territoire permettrait de produire un renseignement utile. « Il faut redonner pleine compétence à la gendarmerie en matière de renseignement », plaide l’élu socialiste.
Côté ministère de la Défense, qui chapeaute les trois autres services de renseignement, DGSE (direction générale de la surveillance extérieure), DRM (direction du renseignement militaire) et DPSD (ancienne sécurité militaire), le diagnostic est à peine moins cruel. « La DGSE doit davantage protéger les entreprises qu’elle ne le fait aujourd’hui », assène le député, convaincu que les PME françaises sont à portée de main de pillards notamment venus de Chine (il l’a constaté en Bretagne, sa terre d’élection). Une orientation qui justifie à ses yeux le recrutement massif par ce service d’universitaires, au détriment des militaires. Mission que le fiasco de Renault, flouée par les membres de son équipe « sécurité », plus escrocs qu’espions, rendrait à ses yeux encore plus urgente.
La France pêcherait aussi en matière de contrôle démocratique des activités de renseignement. « La délégation parlementaire créée par Nicolas Sarkozy est une bonne idée, dit Urvoas, mais son seul mérite est d’exister. Il faudrait investir de cette mission des parlementaires qui aient vraiment du temps à y consacrer. Les rapports qui sont réalisés n’ont de rapport que le nom. C’est un bon début si l’on se souvient que le Parlement était depuis toujours très loin des services, mais il faut faire plus et mieux ». Et le groupe d’études de proposer une loi sur le renseignement pour en finir avec des textes tellement « éclatés » qu’ils ne mettent pas la France à l’abri d’une condamnation par la Cour européenne des Droits de l’Homme. « Il faut que l’on dise clairement ce que sont les services pour éviter les dérives, affirme le député. Ils ne voient pas ça d’un bon œil, dans la mesure où ils œuvrent souvent en marge de la légalité, mais notre but n’est pas de les encager, ni de tout mettre sur la place publique. Une délégation parlementaire doit cependant être en mesure de dire s’il y a eu malversation, ou non, s’il y a eu instrumentalisation des services, ou non ».
Depuis l’élection de Sarkozy, un parfum sulfureux entoure la DCRI. Dirigé par l’ancien N° 2 des RG, Bernard Squarcini, ce service a été soupçonné d’avoir été mis à contribution par l’Elysée à l’occasion de plusieurs fuites dans la presse, ou encore pour cerner les bavardages de Rachida Dati, l’ancienne ministre de la Justice. Rien n’est venu officiellement étayé les soupçons émis par la presse, mais Urvoas regrette qu’aucun comité de suivi de soit en mesure de vérifier ces informations. « La plupart des pays, à l’instar des Etats-Unis, sont bien plus avancés que nous en matière de contrôle, et que je sache, cela n’entrave pas les activités des services », proteste le député.
Quant au coordinateur du renseignement, installé à l’Elysée, il n’aurait guère trouvé sa place, comme en témoigne le départ de celui qui occupait le poste, Bernard Bajolet. « Pour être utile, il faudrait lui adjoindre du personnel », tranche le député. En attendant, tous les directeurs de services le considéreraient comme un filtre gênant entre eux et le « grand chef ».
Frédéric Ploquin - Marianne
(1) La version définitive du rapport est disponible en pièce jointe à cet article
Rapport renseignement - version definitive - 20 mars 2011.doc (124 Ko)
http://www.marianne2.fr/Exclusif-un-rapport-du-PS-sur-les-services-de-renseignement-met-en-cause-Sarkozy_a205536.html