La France, « fille ainée de l'Eglise » a donc été représentée par François Fillon à la cérémonie de béatification de Jean Paul II. Jack Dion, qui considère plutôt la France comme « grande dame de la laïcité », revient sur le mythe d'un baptême de Clovis à l'origine des racines chrétiennes de la France.
Sur décision du Président de la République, François Fillon a représenté la France à la cérémonie de béatification du pape Jean-Paul II, rompant avec la tradition laïque respectée jusqu’ici par tous les prédécesseurs de Nicolas Sarkozy. Comble du ridicule, le Premier ministre était accompagné du ministre des Affaires Etrangères, Alain Juppé, et du ministre de l’Intérieur, Claude Guéant.
A en croire le porte-parole du gouvernement, François Baroin, il n’y a là rien de surprenant puisque « La France est la fille ainée de l’Eglise ». C’est l’expression favorite de tous les bigots depuis le baptême de Clovis par l’évêque Saint Rémi autour de … 496. Sans nier les relations (parfois tumultueuses) entre la chrétienté et l’histoire nationale, on peut aussi rappeler que depuis 1905, date de la séparation de l’Etat et de l’Eglise, la France est surtout la grande dame de la laïcité.
Lorsqu’il avait été consacré avec ostentation chanoine d’honneur à la basilique de Saint-Jean de Latran, en 2007, au lendemain de son élection, le chef de l’Etat avait déjà cru bon de reprendre la vieille lune cléricaliste sur « les racines chrétiennes de la France ». Il avait même précisé au passage: « C’est par le baptême de Clovis que la France est devenue Fille aînée de l’Eglise. Les faits sont là ».
Pourtant, le baptême de Clovis s’apparente davantage à une opération de marketing politique qu’à un acte attestant de la christianisation d’une France qui, à l’époque, n’existait pas encore. Les seules sources sont deux documents incertains, dont le récit de l’évêque Grégoire de Tours, né après l’événement, ardent défenseur de la doctrine chrétienne, et qui décrit le baptême sur le modèle de la conversion de Constantin, l’empereur romain d’Orient.
En ce temps-là, Clovis, roi des Francs saliens depuis 481, régnait sur la Gaule du Nord, après avoir défait les Francs ripuaires, les Thuringiens et les Alamans. Son mariage avec la princesse Clotilde lui permit de recevoir le soutien du roi Burgonde, son père, qui contrôlait la vallée du Rhin, et qui était adepte du christianisme arien. Cette doctrine, qui ne reconnaissait pas le statut de Dieu à Jésus, sera condamnée pour « hérésie » au concile de Nicée (325).
Par sa conversion, Clovis s’assura donc, avant tout, le soutien du clergé catholique et des élites gallo-romaines, d’obédience chrétienne. Ainsi réussit-il à unifier non la France, mais la Gaule, laquelle ne sera christianisée que plusieurs siècles après. Quelques dizaines d’années plus tard, Grégoire de Tours y verra la « preuve » que Clovis était un nouveau David, un nouveau Constantin, autrement dit un homme désigné par Dieu pour protéger les chrétiens et christianiser les païens à la pointe de l’épée. C’est la thèse catholico-monarchiste, remise au goût du jour, en ce début de XXIè siècle, par la plus haute autorité de l’Etat.
Dans un livre en forme d’apostrophe à Nicolas Sarkozy, l’historien Jean Baubérot écrit : « Effectivement, le baptême de Clovis marque un tournant dans la lutte entre chrétiens ariens et chrétiens nicéens. Mais il est complètement faux (d’un point de vue historique) de prétendre que Clovis fut le « premier souverain chrétien ». Sans parler des empereurs romains qui avaient été chrétiens bien avant lui, ni des rois d’Arménie (le premier pays officiellement chrétien vers 295). En tout état de cause, et pour s’en tenir à l’Occident de la fin du Ve siècle, s’exprimer comme vous le faites, c’est adopter un point de vue ecclésiastique, clérical, déniant le titre de « chrétiens » aux hérétiques. C’est ériger un dogme chrétien en vérité d’Etat. »
Cette apologie de la religiosité en général, et du « dogme chrétien » en particulier, est une constance de la vulgate sarkozyenne. Il en résulte une approche révisionniste de la laïcité qui fait du chef de l’Etat un enfant spirituel de Benoît XVI. Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner que les ministres précités soient allés à Rome comme d’autres, naguère, étaient allés à Canossa.
Jack Dion - Marianne
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