Pas assez présent à son goût dans les médias traditionnels, le Front national a décidé de se lancer à la conquête du web. Avec peu de moyens, le parti de Marine Le Pen développe une stratégie Internet faite maison et donne ainsi l'illusion -réelle?- d'être omniprésent sur la Toile.
Claquez-lui la porte au nez, il passera par la fenêtre ! Convaincu de pâtir d’une sous-représentation médiatique contestable (Marine Le Pen est devenue un « très bon client » des grands médias), le Front national a décidé de miser sur le web. « En 2012, la campagne sera numérique », assène Louis Aliot en guise de préambule. Refondation du site officiel du parti, ouverture de comptes Twitter et Facebook, l’équipe chargée de la « communication numérique » au FN s’active sur la Toile. A défaut de pointer toutes les semaines au JT de TF1, la patronne frontiste peut compter sur le Net pour diffuser ses idées. Coup de projecteur sur la stratégie web du FN.
Selon la chaîne « Elections 2012 » lancée sur Youtube par l’AFP et le CFJ, Marine Le Pen serait en tête des recherches Google devant tous les autres candidats potentiels. Si cette donnée ne rime pas forcément avec popularité, elle prouve malgré tout l’intérêt suscité par la nouvelle présidente du Front.
A cette curiosité grandissante des internautes, le FN répond avec les moyens du bord. Deux « secrétaires nationaux à la communication numérique » se chargent de penser et de mettre en œuvre la stratégie Internet du parti, le tout avec un budget minimaliste de « 0 euro à part nos deux salaires », souligne l’un des deux préposés au web. David Rachline, ex-patron du Front national jeunesse, gère le volet réseaux sociaux, pendant que Julien Sanchez, chef de projet Internet pour le Front, administre le site du FN et bientôt le site de campagne de Marine Le Pen qui devrait voir le jour en septembre prochain.
En prime, un graphiste à mi-temps a pour mission de moderniser le site officiel. A son actif notamment, les nouveaux encarts « Pouvoir d’achat : halte au bla bla ! », « Projet économique du FN », « Racket des automobilistes ras-le-bol ! ». Plus colorées, modernisées, ces vignettes contribueraient à changer, adoucir et rajeunir l’image du Front.
En plus de ces deux salariés et demi, une dizaine de bénévoles « aident à contrôler ce qui se passe sur le web », affirme Rachline. « En 2007, on était sept salariés à plein temps, se souvient Sanchez. J’espère qu’on sera au moins cinq en 2012. »
En attendant le déploiement humain, les deux secrétaires nationaux assurent le déploiement numérique du parti. Première « vitrine du mouvement », selon l’expression de David Rachline, le site Internet frontnational.com, avec son design désuet et sa navigation compliquée, fleure bon l’amateurisme suranné. « Il a deux ans… », se justifie Julien Sanchez. A côté, le site de l’UMP semble à la pointe de la modernité graphique et ergonomique. Pourtant, en décembre 2010, Le Parisien affirmait qu’avec 406 000 visiteurs uniques dans le mois, le site du Front battait des records de fréquentation. « L’audience ne cesse d’augmenter depuis le Congrès de Tours », s’enthousiasme Sanchez.
Alors pour continuer sur cette lancée, l’équipe Internet du Front a décidé de repenser entièrement sa « vitrine ». « On va tout refaire d’ici la rentrée. Nous allons développer le contenu vidéo pour présenter le programme. » Pour diffuser ses vidéos, le FN a déjà sa propre chaîne intitulée « Polecom » sur Dailymotion. « On tient à être présent sur cette plateforme car les jeunes vont sur Dailymotion », explique Sanchez. « Dès la rentrée, des interviews thématiques des responsables des Comités pour l’action présidentielle (CAP) seront mises en ligne car les Français pensent qu’il n’y a que Marine et Jean-Marie Le Pen au FN. On veut montrer qu’autour de Marine, il y a aussi toute une équipe. »
Autre nouveauté selon Sanchez : la possibilité de partager les informations plus facilement : « On devrait pouvoir envoyer les articles par mail à l’aide d’un bouton placé sous l’article. »
Inversement, le FN envisage-t-il la création d’une plateforme participative permettant une communication ascendante, de sa base vers ses cadres ?
Alors que l’UMP vient d’emboîter le pas au Parti socialiste en lançant, en mars 2011, son site participatif projet2012, le Front, de son côté, semble peu soucieux d’offrir à ses sympathisants un espace de propositions. « Nous n’avons pas la main d’œuvre nécessaire, argumente Sanchez. Il faudrait une personne à plein temps pour s’occuper de ça, on préfère ne pas le faire plutôt que le faire mal. »
Pour faire remonter leurs idées, les militants n’ont d’autres choix que celui de se rabattre sur les réseaux sociaux classiques. Présent sur Twitter et sur Facebook pour « rendre visible le message de Marine », comme le souligne David Rachline, le FN y poste quotidiennement ses communiqués de presse et les dates des passages médias de ses cadres. Les deux comptes Twitter, @FN_officiel et @MLP_officiel , et les pages Facebook du FN et de ses personnalités (Marine Le Pen, Jean-Marie Le Pen, Louis Aliot, Steeve Briois…) « permettent de toucher des gens qu’on ne toucherait pas autrement », poursuit Rachline. Si la diffusion des idées est assurée, l’échange avec les sympathisants demeure toujours un aspect négligé, contrairement à ce qu’affirme le duo chargé du web.
De plus, Rachline a beau jurer que « le développement du Front est très fort sur Twitter », le faible nombre d’abonnés aux comptes officiels - 1 223 followers pour celui du FN, 1 517 pour celui de Marine Le Pen- démontre au contraire la difficulté pour le parti de s’implanter efficacement sur le site de micro-blogging. A titre d’exemple, le compte officiel de l’UMP dénombre 5 210 abonnés, tandis que celui du Parti socialiste en recense 9 233. Pourtant, selon le Twittoscope, baromètre de l’opinion politique sur Twitter réalisé par TNS-Sofrès, Marine Le Pen serait en passe de voler la vedette à Nicolas Sarkozy sur Twitter. En mars, la présidente du Front a été citée dans 44 800 tweets sur les 580 000 analysés, arrivant ainsi en deuxième position derrière le chef de l’Etat. L'intérêt des internautes ne se traduit pas en nombre d'abonnés. Car qui dit intérêt ne dit pas adhésion.
Pour l’instant, le FN mise surtout sur Facebook « pour faire circuler les infos en un temps record ». Avec près de 35 000 « fans », le mouvement de Jean-Marie Le Pen est le premier parti sur le réseau social, devant le PS (22 000 fans ), Europe Ecologie Les Verts (13 000 fans ) et l’UMP (11 500 fans ). Mais les réseaux sociaux apportent également leur lot de problèmes. «Il existe une dizaine de faux profils de Marine Le Pen sur Facebook, raconte Julien Sanchez. On demande systématiquement qu’ils soient fermés. » Idem sur Twitter.
Autres tracas, ces militants frontistes qui nuisent à l’image du parti en postant vidéos ou commentaires douteux sur leur page personnelle. « On leur apprend à bien différencier leur page personnelle de leur page de politicien », déclare Rachline.
Mais pour dorer son image et relayer ses idées, le FN peut compter sur des « blogs amis », selon l’expression de Sanchez. « On a prévu de faire une réunion avec les blogueurs proches de nous comme Fdesouche pour qu’ils relaient ce qu’on dit. » De son côté, Louis Aliot, le numéro du Front, a lancé en 2008 le site Nations Presse Info « dans le but de contrer les arguments contre Marine Le Pen ».
Enfin, certains militants n'hésitent pas à faire héberger leur blog par des sites d'informations comme Le Post ou 20minutes. « Ce sont des initiatives spontanées », promet le Front. Et les pro-FN qui envahissent les forums et commentent chaque article consacré à leur parti, autonomes ou téléguidés par le FN ? « Autonomes bien sûr. »
Finalement, avec quelques militants dynamiques et une équipe web minimaliste, le FN semble aussi présent sur la Toile que n'importe quel gros parti. Mais la conquête du web implique aussi un volet participatif.
Laureline Dupont - Marianne
Dessin : Louison