Dans un papier du Nouvelobs j'apprends qu'une tribune sur Médiapart a lancé l'idée d'un retour de Lionel Jospin, notre ancien premier ministre ayant fini sa carrière sur un "bon bilan" et un effondrement électorale qui a permis au FN en 2002 d'aller au second tour de l'élection présidentielle. Il faut vraiment qu'une partie des socialistes soit complètement désespérée pour croire que, monsieur, "bon bilan" puisse sauver le PS de la débandade actuelle. Car la débandade en question n'est pas entièrement due à la disparition de DSK l'homme providentiel qui devait gagner la prochaine élection et permettre au libéralisme rose de réformer cette vieille France rancie. Le coeur du problème c'est l'impossibilité pratique qu'il y a à réconcilier des intérêts divergents des différentes composantes qui font le parti socialiste. Comment en effet réconcilier ceux qui veulent encore réduire les inégalités et lutter contre le chômage, y compris en utilisant le protectionnisme ou la dévaluation ? Et en même temps protéger les intérêts d'une classe sociale des centres-ville aisés qui lit le NouvelObs et qui constitue une vaste partie des 20% de la population pour qui la mondialisation c'est formidable. C'est cette schizophrénie, qui conduit le PS à faire soit des programmes sans queue ni tête pour contenter tous les électorats sans trop les brusquer, soit à se diviser au cours de luttes intestines qui le condamne à l'échec électoral. Sans parler de la capacité phénoménale des gens de gauche à se crisper sur quelques divergences idéologiques même extrêmement mineures. Comme je l'avais dit dans un autre texte la gauche a supprimé les frontières nationales, mais les a remplacés par des frontières idéologiques beaucoup plus insurmontables
Retour sur les années fastes du socialisme 1997-2002
Le bilan de Lionel Jospin s'est d'ailleurs construit sur un mensonge ou plutôt sur une transformation de la réalité par nos dirigeants. La croissance de cette période ou la baisse du chômage momentanée qu'a connu le pays ne fut pas le fruit des 35heures, ou des diverses réformes gouvernementales d'alors. Mais le résultat du passage d'une politique monétaire à une autre. En réalité, la relance de la croissance d'alors est une véritable démonstration de la puissance de la monnaie sur la dynamique économique d'un pays, mais nos dirigeants de l'époque se sont bien gardés d'expliquer pourquoi la croissance française est passée à plus de 3% par an et à vue la création de plus d'un million d'emplois sur une si courte période.
Il fallait conserver la légende de la croissance fruit des politiques menées par le gouvernement de l'époque. En réalité il s'agit plus d'un storytelling, comme disent les Américains, que d'une explication valable. Il y avait en fait deux causes prépondérantes à la reprise de l'époque, la première était l'effet de la bulle internet américaine, l'ère Clinton étant une période de croissance relativement forte même si celle-ci était en grande partie liée à la surconsommation locale. Le déficit commercial US étant déjà important à l'époque sans atteindre les niveaux actuels. Le premier pilier de la demande mondiale tournait à plein régime attirant une grosse quantité de capitaux du reste de la planète. Le deuxième facteur prépondérant est l'abandon momentané du franc fort qui prévalait depuis le début des années 90, et comme on peut le voir sur le graphique précédent. À partir de 1996 le franc commence à se dévaluer face au dollar. Entre 96 et 97, il passe de 5 francs pour un dollar à plus de 6 francs soit une dévaluation de près de 20%. En 1999, l'euro apparait avec un taux de change à 1.2€ pour un dollar, ou encore 0.83$ pour 1 €, ce qui traduit en franc nous donne 5.46 francs pour un dollar. Comme vous pouvez le voir, ce taux de 1999 est déjà très élevé pour notre monnaie si l'on se fit à l'évolution depuis 1980. On avait même atteint un taux de 9 francs pour un dollar en 1985 soit en euro un pauvre 0.73€ pour un dollar suivant le taux de conversion du franc en euro, c'était très loin des taux actuels.
Evolution du taux de change de l'euro en dollars depuis 1999
Aujourd'hui avec un euro égal à 1.5€ cela nous fait un joli 4.37 francs pour un dollar soit le taux le plus haut que la France ait connu depuis 1980. Quoi qu'il en soit la période 1997-2002 est une période de dévaluation monétaire, l'euro va d'ailleurs rapidement perdre de sa valeur puisqu’entre 1999 et 2001 il passe de 1.2 $ pour un euro à 0.9$ pour un euro ce qui nous fait un taux de 7.28 francs pour un dollar. Ce passage monétaire permet à la France de profiter au maximum de la bulle US et de sa croissance, les USA étant le seul pays du monde développé à faire régulièrement des politiques de relance depuis les années 70 à l'exception de l'épisode français 81-83. On voit directement la corrélation entre la croissance française, l'excédent extérieur, et la bulle internet US sur les graphiques ci-dessous:
C'est donc la collusion de la croissance US et de la dévaluation momentanée qui ont accéléré la croissance française à une période ou la concurrence des pays asiatiques n'était pas encore à son niveau actuel. Ce fut en quelque sorte le dernier moment de croissance avant l'arrêt complet puisque nous faisons du surplace depuis avec en plus cette récession exportée par la dépression américaine liée à ses contradictions internes dont nous avons déjà parlé longuement. Il n'y a pas eu de miracle des 35heures ni même par la suite de catastrophe des 35heures. Ces dernières n'ont probablement eu aucun effet réel sur l'économie française, mais les politiques aiment bien donner des causes sur lesquelles ils peuvent agir plutôt que de parler des causes sur lesquelles ils ne veulent pas agir. En l'occurrence, les 35heures sont de la même manière utilisées par la droite et la gauche, pour masquer le fait que la monnaie, les politiques macroéconomiques et l'évolution du commerce expliquent bien mieux ces changements de taux de croissance. Cela nous a évité de parler du projet de l'euro en l'occurrence. Il reste cependant une question. Pourquoi l'euro s'est-il dévalué de 1999 à 2001? La réponse à cela est simple. L'Allemagne n'avait pas encore absorbé ses difficultés avec l'ex-RDA et ce pays connaissait des déficits commerciaux. C'est ce hasard historique qui a rendu possible l'unification monétaire. Ces déficits entrainant le Mark à la baisse les autres monnaies européennes, qui était déjà collé à lui pour permettre l'unification monétaire, baissaient avec lui. C’est ce qui explique la baisse du franc à partir de 1996. Et la croissance US a fait le reste. La forte croissance des USA permettant des taux de croissance forts en Europe provoquée par des excédents importants en France et en Italie. Dans ce court laps de temps historique, nos économies ont convergé et l'euro a pu se faire pour notre plus grand malheur, nous le savons aujourd'hui.
Et aujourd'hui alors?
Comme nous l'avons vu le taux de change de l'euro est aujourd'hui très fort pour la France, mais à cela s'ajoute la morosité du moteur de la demande mondiale les USA. La reprise étant déjà fini il faut s'attendre à une dégradation de la demande extérieure alors que nous avons déjà d'importants déficits commerciaux. Ce qu'il faut bien comprendre en revanche c'est que la monnaie seule n'explique pas totalement les variations de la croissance. La période de 97-2001 nous montre, par exemple, qu'on ne pas expliquer uniquement par la dévaluation cette reprise. Et il n'est pas sûr qu'une dévaluation simple puisse aujourd'hui relancer la croissance française comme à l'époque. Notre pays n'est plus en retard par rapport à la locomotive américaine, il en va de même pour les autres pays d'Europe. Nous ne pouvons plus attendre de la relance de nos exportations qu'elle fasse croitre suffisamment nos économies pour employer tous nos jeunes. Et malgré ses énormes excédents, l'Allemagne n'a pas une croissance si énorme que cela cette année. Les dévaluations ne doivent donc plus être envisagées uniquement comme un moyen de tirer sa croissance par ses exportations. Elles doivent surtout être considérées comme un moyen d'éviter que la demande intérieure ne parte à l'étranger. La France a besoin d'une relance de sa demande intérieurs couplée à une dévaluation et à des mesures protectionnistes. Pour ce qui est de la période Jospin, elle montre combien la monnaie est un outil important dans la gestion de la croissance économique du pays. Elle nous montre combien également nos dirigeants peinent à comprendre ces idées relativement simples. La gauche ayant préféré expliquer sa réussite de l'époque par ses propres politiques, elle est passée à côté de l'essentiel. Et elle ne comprend toujours pas la situation actuelle en partie à cause de ses conclusions erronées de l'époque. C'est ainsi que des discours de bonne gestion ont pris place à la réflexion sur la monnaie, le libre-échange ou les politiques de relance. Faire un bilan de cette période et montrer ce qui s'est réellement passé pourra, peut-être je l'espère, débloquer certains esprits sur ces questions.
YANN
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