La grande roue médiatique a tournée. Luc Ferry succède à DSK. Après sa douteuse sortie évoquant la pédophilie d'un ministre, le philosophe de l'UMP se voit reprocher son salaire de prof, 4 499 €, pour des cours jamais effectués. L'occasion de passer en revue les autres fromages de la République, dont profitent nombre d'ex ministres? Même pas.
Une page entière sur les huit que comporte le Canard enchaîné, onze papiers ou dessins. Pour son édition du 8 juin, le journal satirique a soigné Luc Ferry : la fameuse une de la Marre au canard, le portrait, et le grand papier de la page 3, titré : « Un emploi fictif pour le moraliste Luc ferry ». Son nom apparaît 37 fois. Rebelote la semaine suivante. Neuf articles ou dessins, 25 citations. Depuis que l’ex-ministre philosophe a évoqué la passion coupable d’un ancien collègue du gouvernement pour les enfants, sa vie n’est pas simple. Outre la manière — il dénonce la pédophilie d’un ministre sur le plateau du Grand journal de Canal + — le philosophe moraliste se doit désormais de justifier également son salaire de professeur à l’Université Paris VII, 4 499 euros mensuel, quand il n’y a pas mis les pieds depuis 1997. On appelle ça l'arroseur arrosé...
Le cas Ferry qui aurait pu être l’occasion d’un grand déballage sur la question des « emplois fictifs » ne semble guère interroger la presse, qui se limite à demander des explications au seul philosophe. Pour légitimer sa « décharge de service public », d’ordinaire accordée aux fonctionnaires assumant un mandat syndical ou de gestion administrative (70 000 selon la Cour des comptes), le philosophe met en avant sa fonction de ministre puis celle, plus récente, de patron du Conseil d’analyse de la société (CAS). Un secrétariat, des frais, un petit complément de salaire de 1 700 euros, de quoi écrire des bouquins et assurer son débat hebdomadaire face à notre Jacques Julliard - éditorialiste à Marianne - sur LCI. Rapporteur spécial sur « la direction de l’action du gouvernement », Jean-Pierre Brard (groupe Gauche démocrate et républicaine) note : « De juin 2008 à juin 2009, le Conseil d’analyse de la société a tenu 15 réunions plénières. Depuis le rapport « Pour un service civique », qui a été remis au Président de la République le 10 septembre 2008, le Conseil a remis un rapport « Face à la crise » en mai 2009. Les doutes formulés par le Rapporteur spécial l’an passé quant à l’utilité du Conseil d’analyse de la société ont provoqué une réaction très vive de son président. Le Rapporteur spécial a été au moins convaincu de la capacité d’indignation du président dudit conseil. »
Les fromages dans l'éducation nationale
Ce comité Théodule, rattaché à Matignon, a donc toutes les caractéristiques d'un « fromage de la République ». Mais « l’emploi fictif » de Luc Ferry, ainsi levé par le Canard, n’a pourtant pas éveillé l’attention des média sur les autres personnalités, et notamment politiques, bénéficiant des « plaçous », comme aimait à le dire Jacques Chirac, grand pourvoyeur de fromages pour ses collaborateurs. Rien sur les 22 titulaires des postes d’inspecteurs de l’Académie de Paris, sur lesquels Marianne2 avait enquêté. Alors que dans leur rapport annuel 2010, les magistrats de la Cour des comptes, considèrent que ces 22 heureux occupent un emploi… qui ne correspond à « aucun besoin particulier de l’Académie de Paris ».
Ils sont pourtant de plus en plus nombreux. La Cour note en effet que ces nominations ont subi une vraie inflation entre 2001 et 2008 alors que les inspecteurs ne furent que six au cours des deux siècles précédents. Surtout, ces nominations, « caractérisées par de simples motifs de proximité politique », ont été « réservées à des collaborateurs de diverses autorités politiques (président de la République, Premiers ministres, ministres chargés de l’Education, autres ministres…) ». A droite comme à gauche les 4 500 euros net du poste fait les joies des anciens collaborateurs. On y trouve pêle-mêle : Nicole Baldet, l’ex-secrétaire particulière de Lionel Jospin, Christophe Borgel, un fidèle de Dominique Strauss-Kahn, ou encore Claude Roiron, ex-Secrétaire nationale du PS chargée de l’éducation et présidente du Conseil général d’Indre-et-Loire. Une ancienne du cabinet de Jack Lang, tout comme Christophe Degruelle, qui fut le directeur de cabinet de l’ancien ministre de l’Education.
A droite, on trouve 12 bienheureux : 9 nommés sous Jacques Chirac, 3 par Nicolas Sarkozy, qui prétendait rendre la république irréprochable. Anne Peyrat, qui occupa la fonction de conseillère à la culture au cabinet de Chirac, Fabrice Larché, chef de cabinet de Valérie Pécresse au ministère de l’Enseignement supérieur, ou encore Arnaud Teullé, conseiller à l’Elysée, qui, sans doute pour le remercier d’avoir cédé un canton de Neuilly-sur-Seine au prince Jean en mars 2008, a été lui aussi nommé inspecteur de l’académie de Paris le 2 mai 2008. Le même jour, David Teillet, délégué général de l’UNI (syndicat étudiant de droite) de 1998 à 2002, et actuel chef de cabinet de Xavier Darcos au ministère du Travail, hérita de la même promotion.
Et dessert pour les ambassadeurs de France parisiens
Rien sur les inspecteurs d’académie de Paris donc, mais rien non plus sur d’autres fromages. Comme celui des ambassadeurs français auprès d’institutions internationales à l’activité réduite.
La réalité du travail effectué par Rama Yade à l’Unesco, où elle représente la France avec le rang d’ambassadrice n’a pas été trop creusée lors de son interview dans l’émission C Politique, dont elle était l’invité dimanche 12 juin dernier. Celle qui a rejoint l’écurie de Jean-Louis Borloo, a été exfiltrée du gouvernement, lors du dernier remaniement de novembre dernier. Non sans la manière. Et coup de chance dans le grand jeu des chaises musicales pour les boulots sympas, l’ancien symbole de la diversité version Sarkozy s’est vu offert le poste qu’occupait Catherine Colonna pour les mêmes raisons qu’elle. En poste depuis 2 ans et demi, l’ancienne ministre aux Affaires européennes a eu tout le loisir d’attendre des jours meilleurs au chaud avec un bon traitement. Cooptée par un grand cabinet d’avocats anglo-saxon, avec la rémunération qui va avec, elle laisse bien volontiers sa place.
Idem pour Roger Karoutchi. Débarqué du gouvernement, l’ancien ministre chargé des Relations avec le Parlement attend son heure en occupant le fauteuil d’ambassadeur de France à l’OCDE. La sinécure fut occupée un temps par Xavier Darcos. L’ancien ministre de l’éducation y trouva refuge après avoir perdu son portefeuille en 2005 lorsque Jean-Pierre Raffarin quitte Matignon au profit de Dominique de Villepin. Rebelote en 2010. Le 22 mars, après la cata des élections régionales pour l’UMP, Xavier Darcos, candidat écrasé en Aquitaine, perd son ministère du Travail, des Relations sociales, de la Famille, de la Solidarité et de la Ville. Il ne reste que trois semaines sur le carreau, puisque le 10 juin, il est nommé lui aussi ambassadeur. Le décret ne précise pas pour rien qu’il est « chargé de mission pour l'action culturelle extérieure de la France ». Il s’agit en réalité d’offrir à l’ex-ministre les rênes de l’Institut Français. La consolation est bien maigre pour celui qui guigne le Château de Versailles, auquel s’agrippe encore Jean-Jacques Aillagon.
quid des micro fromages locaux?
Rien non plus sur les autres fromages évoqués par Luc Ferry dans son interview dans le Parisien : « j’ai refusé cette année d’être renouvelé comme membre du Conseil économique et social et l’an dernier d’être député européen. » Troisième Assemblée de la République, avec Assemblée Nationale et le Sénat, le CESE assure à ses membres, qui ont rang de parlementaire donc droit à une cocarde sur leur véhicule, une rémunération de 3 756,63 euros. Mieux, le système de retraite est lui aussi très alléchant : 800 euros mensuel à vie par mandat de 5 ans. Depuis longtemps, les nominations au CESE se font pour services rendus. L’Elysée y a par exemple envoyé dans sa dernière livraison Yves Urieta, l’ex-maire PS de Pau, qui a barré la route de la mairie à François Bayrou, ou encore d’Hugues Martin, le bras droit d’Alain Juppé à la mairie de Bordeaux.
Et que dire de Martin Hirsh qui se prépare lui-même ses boulots de dans deux ans tout en se faisant le champion toutes catégories de la lutte contre le conflit d’intérêt. Actuellement Président de l’Agence du service civique (ASC), il occupe le premier cette fonction après avoir quitter le gouvernement au sein duquel il aura forgé l’ASC. Une manie puisque déjà en 1997, cette fois sous un gouvernement de gauche, il sera celui qui jettera les bases légales de l’Agence française de sécurité sanitaire, dont il prendra la direction juste après sa démission.
Postes de fonctionnaires bidons, ambassadeurs farniente, présidences de pseudo administration, parlementaires au sein d’assemblées sans pouvoir, les fromages de la République sont multiples. Que dire du poste d’ambassadeur de la culture Française à Rome au sein de la Villa Medicis ? De patron de l’établissement public de Versailles. Et encore la liste est loin d’être exhaustive. Pire, elle se limite aux plus voyants, ceux au niveau national, ignorant les petits fromages des petites baronnies. Mais au niveau local, d’autres opportunités s’ouvrent. Elles sont elles aussi multiples.
Au grand jeu des potins, auquel se livre le tout paris lors de dîners où se mêlent les mondes des médias, du politique, du show business et du business tout court, Luc Ferry aurait fait un tabac avec sa révélation. Sauf que, l’impétrant l’a fait sur le plateau du Grand journal. Il suffisait de voir la tête de Jean-François Kahn pour comprendre ce qui aller se passer. Pris à ce moment là dans le tourbillon médiatique pour une phrase malheureuse qu’il a reniée sans tarder, le fondateur de Marianne a pu voir en direct les mouches changer d’âne. Et c’est ce qui s’est passé. Durant la semaine qui vient de s’écouler, Luc Ferry n’aura eu de cesse de s’expliquer sur sa situation. Sans lui jeter une bouée, le cas Ferry n’a rien d’un cas isolé. Mais le système médiatique semble tout a coup encalminé, incapable de le dépasser.
Emmanuel Lévy - Marianne