L'idée m'est venue de faire un topo sur la situation économique des futures grandes puissances économique que sont les BRIC. À vrai dire c'est l'interview de Jacques Sapir qui m'a inspiré. Il est vrai que l'on parle souvent de ces nations émergentes comme si en définitive elles en étaient au même point de développement. Ou si leur évolution était en tout point similaire. La réalité crue c'est que la seule chose qui unit les Bric est leur volonté d'indépendance nationale vis-à-vis de l'extérieur et surtout vis-à-vis de l'occident. En quelque sorte, les Bric sont les vrais représentants de l'esprit gaulliste des années 60, celui promulguant un monde multipolaire dans lequel chaque nation défend jalousement son indépendance nationale. Ces états ont des stratégies industrielles politiques et commerciales visant à leur indépendance et à leur progrès économique, et en cela elles sont des exemples. Je commence aujourd'hui par attaquer un gros morceau, l'Inde. Je commence par elle notamment parce qu'un article récent de l'INED vient de décrire la situation actuelle de la démographie. Et ceux qui lisent régulièrement ce blog savent à quel point la démographie est un point important dans l'évolution économique d'un pays. L'Inde est une très grande nation et son rôle dans l'avenir de la planète est évidemment central. Nous allons donc nous évertuer à voir où cette nation en est, et où son évolution démographique et économique la mène à plus ou moins long terme. Nous verrons d'ailleurs dans la partie économique que les relations entre l'Inde et l'autre géant des Bric la Chine ne sont pas aussi splendides que çà. Et que cette alliance que représentent les Bric n'est en fait que circonstancielle.
La démographie indienne
Nous commençons donc par la démographie de cet immense pays. L'Inde fait déjà 1,2 milliard d'habitants, elle a gagné en dix ans 182 millions d'habitants. Et la croissance démographique va continuer encore quelques années malgré la baisse progressive de la natalité du pays. Essentiellement à cause de l'effet d'inertie démographique, la croissance démographique annuelle est encore à 1.64% par an ce qui reste relativement élevé. On est certain aujourd'hui que l'Inde finira par devenir le pays le plus peuplé du monde devant la Chine. Ce qui est une première historique, puisque la Chine a toujours été le pays le plus peuplé du monde, depuis l'invention de l'écriture et le commencement de l'histoire humaine. De plus, la divergence entre l'évolution démographique des deux pays, va fortement se faire sentir à long terme. En effet, la Chine a connu une transition démographique plus précoce alors que l'Inde a eu une politique de contrôle des naissances bien avant l'Empire du Milieu. Cette situation pourrait tendre à faire croire que les politiques de planning familiales ne servent pas à grand-chose. En réalité, c'est surtout la limite liée au régime politique qui explique ces différences. L'Inde est une démocratie malgré ses restes de sociétés de caste, elle a contrôlé sa natalité par des moyens que l'on dira humainement raisonnables. La politique de l'enfant unique en Chine ne pouvait s'imaginer que dans un pays où l'autorité centrale était suffisamment puissante pour être pratiqué avec toute sa violence et sa cruauté parfois. Même s'il faut reconnaître son efficacité à court terme la Chine connaissant un ralentissement démographique largement plus rapide.
Source: bureau des statistiques Indiennes
Cependant, si la méthode chinoise de contrôle démographique a eu des effets plus rapidement et a permis le décollage du niveau de vie chinois, c'est au prix d'un déséquilibre à long terme que l'Inde semble en passe d'éviter. En effet comme vous le voyez sur le tableau précédent le TFR( Total fertility rate) baisse continument, mais de façon relativement lente et progressive. L'Inde n'a pas connu un effondrement de la natalité comme les pays d'Europe latine, les pays arabes récemment ou la Chine avec son enfant unique. Le résultat c'est que cette évolution progressive va permettre à l'Inde un atterrissage en douceur aux alentours du seuil de reproduction. Car comme nous l'a appris Pierre Chaunu dans ses oeuvres plus une fécondité descend vite, brutalement, et plus elle risque de tomber bas une fois la transition passée. Ce qui produit des effets secondaires extrêmement néfastes comme en Allemagne ou au Japon. Il semble donc qu’à très long terme le choix de l'Inde soit un choix plus équilibrer que celui de la Chine qui va faire face dans les vingt prochaines années aux conséquences de son vieillissement massif. Cependant, il est vrai que l'Inde à cause de cette lenteur de la baisse de la fécondité connait en contrepartie une hausse de la population trop importante. Il suffit de regarder la densité moyenne de la population dans certains états pour imaginer les problèmes agricoles et les problèmes de ressources en eau potable.
Une telle carte relativise les discours sur une France surpeuplée. Franchement il y a des états indiens comme le Bengale occidental qui ont une densité de plus de 1000 habitants au km². L'Inde en moyenne c'est 382 habitants au km², la France elle ne fait que 105 habitants au km². Nous avons de la marge avant d'être aussi surpeuplés qu'eux. Il faudrait presque multiplier notre population par quatre pour atteindre de tels niveaux. Quoi qu'il en soit comme je le disais précédemment l'Inde va encore connaitre une croissance démographique importante dans les années qui viennent le temps que la baisse de la natalité fasse sentir son effet. La croissance ralentit, comme le montre le graphique suivant, mais reste importante.
Source: bureau des statistiques Indiennes
Autre problème il existe un rythme très inégal dans la croissance démographique indienne suivant les états. Entre le Nagaland dont la population a baissé de 5% sur les dix dernières années, et l'état du Meghalaya qui a augmenté de 27% sa population en 10 ans il y a un gouffre. L'Inde mérite ainsi vraiment sa définition de nation continent la variété culturelle locale se reflétant dans la variété de l'évolution démographique. Il reste à espérer que la mobilité de la population permettra à terme d'éviter des densités insupportables pour certains états.
Source: bureau des statistiques Indiennes
Au cas où certains seraient en train de se demander si les régions les plus fécondes sont musulmanes, la réponse est, cela dépend. En fait, en regardant l'évolution démographique de l'Inde on ne peut que constater qu'il n'y a pas de lien entre la religion et le taux de fécondité. Certaines régions musulmanes ont effectivement une forte croissance démographique d'autre non. L'état du Meghalaya que j'ai cité précédemment pour sa forte croissance démographique a ainsi une majorité chrétienne qui représente 65% de la population. Tout ceci ne fait que confirmer les travaux de notre démographe préféré Emmanuel Todd pour qui religion et démographie n'ont pas vraiment de liens de causes à effet. En tout cas, cela ne se voit pas dans les données.
Source Herodote
Après ce petit exposé sur la situation indienne en matière démographique nous comprenons bien que le pays n'est pas encore dans la phase développement. En effet, l'Inde a quelques décennies de retard sur la Chine. Ce pays n'en est qu'au début des effets positifs du ralentissement démographique, dans quelque temps les actifs vont augmenter beaucoup plus rapidement que les inactifs à cause de la baisse du nombre de jeunes à éduquer. La fenêtre de développement s'ouvre à peine pour ce pays. La croissance économique devrait donc s'accélérer dans les années qui viennent sous cet effet classique de la transition démographique. En effet au cours du passage de la transition démographique il y a un moment où le nombre d'actifs augmente très rapidement pour nous ce fut la période des trente glorieuses. Plus d'actif en proportion cela signifie moins de charges par tête et donc une plus grande capacité à produire et à consommer. Évidemment cela n'a qu'un temps puisqu'après le pays vieillit. C'est un moment particulièrement opportun pour industrialiser facilement une nation. Tout du moins si l'Inde ne fait pas trop d'erreurs dans ses politiques macroéconomiques. À très long terme il est probable que l'Inde dépassera la Chine en terme de dynamisme non seulement à cause de sa population plus grande, mais surtout parce que l'Inde est partie pour avoir une fécondité d'équilibre une fois la transition passée. Je me demande quel effet ses écarts d'évolution démographique vont produire sur les relations entre l'Inde et la Chine. La Chine richissime vers 2030 se voyant dépassée petit à petit par un pays beaucoup plus jeune et dynamique à ses frontières. On a connu en Europe de telles évolutions et l'on sait par expérience que les tensions montent dans ce genre de cas. Il en ira probablement de même entre la Chine et l'Inde qui se disputeront alors la première place du podium économique mondial.
L'évolution économique de l'Inde
Venons en maintenant au sujet favori de ce blog l'économie. La situation économique indienne réelle est assez éloignée des quelques idées reçues trop répandues sur ce pays. Tout d'abord, le pays n'est pas si dynamique si on la compare à ce qui est comparable. Ensuite, la situation commerciale de l'Inde est en réalité assez difficile notamment face à la Chine qui lui fait économiquement mal. Comme je l'ai dit juste avant l'Inde n'a pas encore décollé à cause de son retard démographique, il est certain par contre que dans une dizaine d'années elle sera probablement le pays le plus dynamique du monde sauf accident. Comme vous pouvez le voir ci-dessous la croissance indienne très forte par rapport à nos critères de pays en décadence. Elle est en faite faible si on la compare à la croissance chinoise. Et surtout il faut prendre en compte la croissance démographique de la population. La Chine connait une croissance plus forte avec une croissance démographique largement inférieure ce qui signifie que le PIB par tête y augmente largement plus vite. La croissance indienne est donc plus une croissance quantitative pour l'instant qu'une croissance qualitative, mais c'est normal puisque ce pays n'est encore qu'au début des effets de la transition démographique. Avec le ralentissement de l'augmentation des jeunes et l'accélération du nombre d'actifs l'Inde devrait rapidement voir son niveau de vie augmenter. Pour l'instant, la croissance par tête reste relativement lente et le pays n'est pas prés à ce rythme à rattraper les niveaux de vie occidentaux ou même chinois. Il faut savoir distinguer qualité et quantité. La simple croissance démographique créant une croissance économique par nature. Cependant ce développement de l'Inde que j'annonce c'est sans compter sur les effets de la mondialisation néolibérale à laquelle malheureusement l'Inde s'est jointe. Ce pays qui reste encore protectionniste sur nombre de secteurs comme l'automobile a quand même entamé une orientation libre-échangiste palpable depuis le début des années 2000. Bangalore, la fameuse ville qui fait office de Silicon Valley indienne est un peu le symbole de cette ouverture qui est censée être positive pour l'économie indienne. De nombreuses entreprises occidentales ont ainsi délocalisé leurs activités informatiques et de service en Inde. Ce pays jouissant de salaires faibles, de programmeurs bien formés et en très grand nombre. Mais l'ouverture aux échanges a eu aussi des effets sur les importations indiennes et pas seulement sur ses exportations de services. En effet si l'Inde écrase la concurrence européenne ou américaine par ses coûts extrêmement faibles dans les services informatiques, elle est par contre mal armée pour résister à l'ogre géant de l'Asie montante la Chine dans d'autres domaines. Qui plus est, cette dépendance à l'exportation a couplé la croissance indienne à la situation du reste du monde. L'Inde se rendant ainsi très sensible aux variations de l'économie mondiale.
Le tableau précédant est assez clair. L'Inde souffre aujourd'hui de la concurrence chinoise avec un déséquilibre impressionnant, les exportations chinoises vers l'Inde étant deux fois plus importantes que les exportations indiennes vers la Chine. Des tensions se font d'ailleurs sentir entre les deux pays l'Inde souffrant de la concurrence chinoise comme le rapporte cet article de Reuters. Là comme ailleurs la Chine joue un jeu de cavalier solitaire poussant son concurrent à la faillite. Heureusement l'Inde ne commerce pas qu'avec la Chine et rééquilibre en partie son commerce extérieur en siphonnant comme tout le monde l'occident et les USA en particulier. Mais c'est globalement insuffisant pour rééquilibrer le tout. Ainsi la balance commerciale indienne est déficitaire comme on peut le voir sur le graphique suivant. Ce déficit oblige le pays à emprunter sur les marchés financiers pour financer sa dette, vous connaissez la musique. La libéralisation du commerce indien s'il a donc développé les services informatiques locaux a surtout desservit l'économie indienne dans son ensemble. Le déficit commercial en est la preuve. Et dans un pays fortement inégalitaire à la base cela ne peut qu'amplifier encore un peu plus la lutte des classes locale. Avec tout ce que cela signifie en terme de tension sociale, ethnique ou religieuse pour un pays extrêmement diversifié sur le plan ethnoreligieux.
Comme le disait Jacques Sapir dans son dernier interview, la croissance économique est avant tout un phénomène endogène aux sociétés. Le cas de certains pays fortement exportateurs ne doit pas cacher d'une part les dégâts que cela cause dans d'autres régions du monde, y compris les nôtres. Mais cela cache aussi le fait que ces déséquilibres sont par nature intenables à long terme. Ensuite les spécialisations induites par la mondialisation des échanges produisent localement des amplifications d'inégalité. Si les ingénieurs indiens sont surement contents de pouvoir piquer des emplois aux Français ou aux Américains, on peut se demander en revanche ce que les producteurs de textiles ou d'électronique indiens pensent de la libération du commerce avec la Chine. En plus, l'Inde n'avait pas besoin de développer ses exportations pour développer son économie. Grâce au potentiel de son immense marché intérieur, il lui suffisait de s'ouvrir aux investissements extérieurs tout en restant barricadé dans ses frontières, comme l'a fait la Chine dans les années 80-90 avant son entrée dans l'OMC, pour avoir une forte croissance et un développement technique. L'ouverture aux échanges de l'Inde est à double tranchant pour son économie surtout qu'elle se produit à un moment où le seul moteur de la consommation mondiale, l'Occident, cale. L'Inde nous montre également que la mondialisation n'est pas un bénéfice pour tous les pays en voie de développement. Comme le rappelait récemment Sapir c'est surtout la Chine qui a bénéficié de la mondialisation. L’Inde, si elle participe à la destruction des économies occidentales, est aussi victime de l'excédent chinois.
YANN
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