En lisant les différents commentaires sur la crise grecque, on remarque toujours un certain type de réaction, celle de la déception. La déception de voir l'Europe échouer à devenir unique, et échouer à devenir un état fédéral. Je suis toujours abasourdi par ce type de propos, et ce pour plusieurs raisons que ceux qui lisent depuis longtemps ce blog connaissent, mais qu'il me semble devoir rappeler. Il devient ainsi de plus en plus évident, chaque jour qui passe, que l'euro s'approche de sa fin, tout du moins sous sa forme et avec ses participants actuels. Contrairement à ce que pensent certains, je crois que la fin de l'euro entrainera automatiquement la fin de l'Union européenne. Car même s'il est vrai que beaucoup de pays sont à la fois membre de l'UE et non membre de l'euro, le fait est que pour la première fois dans l'histoire de cette construction hasardeuse il y aura un recule sur les ambitions et le nombre de membres. En France, nous savions depuis 2005 que l'Europe était un zombi dans la tête des citoyens de l'Europe, mais la fin de l'euro montrera cette évidence aux classes dirigeantes. La fin de la monnaie unique entrainera donc à mon sens un effet boule de neige. Pourquoi en effet se plier aux règles de l'UE alors même que l'on a rompu aux règles si strictes de l'euro. Je comprends donc dans un sens l'émoi que ressentent certains à l'idée de ce retour des monnaies nationales, car il ne fera que provoquer la fin de l'actuelle construction européenne. Et cela provoquera le retour de la vielle Europe dans son organisation prè-américaniste. Après tout, les nations d'Europe n'ont pas été libres de leurs orientations politiques depuis 1945 et la mise sous tutelle du continent par des puissances extérieures. L'UE c'était un peu le cocon de la politique en Europe, elle permettait de chasser les peurs inhérentes à la responsabilité de l'indépendance sous la tutelle de l'empire américain dont elle n'est qu'une excroissance. Les fédéralistes européens se sont d'ailleurs autopersuadés que l'Europe c'est la paix, et que les nations c'est la guerre. On comprend ainsi bien la peur qu'ils ont de ce retournement apparent de l'histoire.
Cependant à titre personnel je vois au contraire dans l'orientation actuelle de l'Europe le meilleur fermant de la guerre. Pour maintenir une construction qui manifestement ne fonctionne pas, l'on pratique des politiques économiques violentes qui heurtent la sensibilité propre de chaque peuple européen. L'esprit jacobin qui est insufflé au cœur de la construction européenne a des effets catastrophiques d'uniformisation des structures législatives et économiques pour des peuples dont les divergences sont très importantes. L'euro à lui tout seul a fait diverger les économies du continent comme jamais depuis la fin de la guerre. Il suffit de regarder l'évolution des balances commerciales au sein de la zone euro pour voir que l'euro a détruit l'idée même d'une possible convergence des nations. Dans ce cadre, et avec les nouvelles mesures toujours plus violentes de coercition économique mis en place pour sauver les banques françaises et allemandes en Grèce, l'on peut affirmer, sans avoir trop peur du ridicule, que l'Europe désormais c'est la guerre. À n'en pas douter dans nos livres d'histoire ce seront ces drapeaux européens associés au symbole nazi qui resteront dans les mémoires comme le plus grand symbole de l'échec de l'uniformisation continentale. Je parle d'uniformisation parce que je crois possible justement une unification. Mais la seule unification que les bureaucrates européistes, formés malheureusement à l'école française du jacobinisme, est celle qui passe par l'uniformisation. L'Europe si elle avait dû se faire aurait dû prendre une tout autre forme. Elle aurait dû s'appuyer sur les nations existantes, et non vouloir en devenir une concurrente. L'Europe fonctionnelle aurait dû être une alliance, une organisation défendant les souverainetés de ses membres et non une broyeuse de celles-ci. Car en niant les diversités nationales du continent, l'UE a non seulement entrainé sa propre chute, mais elle a aussi considérablement appauvri la créativité d'un contient jadis prolifique.
La dynamique historique européenne et la division continentale
Le continent européen n'a jamais été unifié depuis Rome et c'est probablement sa plus grande originalité historique quand on le compare à d'autres espaces culturels. Car c'est cette particularité qui explique que l'Europe a continué à créer à avancer pendant que d'autres régions du monde une fois unifié tombaient en somnolence ou pire en décadence. L'Europe réunit sur un territoire assez exigu une grande variété de peuples de cultures et de religions différentes. Le continent n'a jamais été unifié sous un seul pouvoir politique, même si le continent a connu des puissances dominantes, ces dernières avaient souvent des concurrents sous forme d'alliance d'autres nations plus petites. De fait, et comme l'affirme l'historien Jared Diamond, l'Europe a été un lieu de concurrence entre nations sur une très longue durée historique. LE continent a été le lieu d'un processus évolutionnaire adapté à l'échelle des cultures et des modes de gouvernement. Un processus évolutionnaire qui a abouti au monde moderne. Une concurrence qui, il est vrai, pouvait parfois produire des guerres, mais une concurrence qui a permis aussi une véritable stimulation et une grande liberté intellectuelle, artistique et scientifique. Un penseur vilipendé dans son pays de naissance, pouvait aller chercher secours dans un pays concurrent. Les protestants qui ont fui la France avec l'abrogation de l'édit de Nantes ne furent pas étrangers à la révolution industrielle britannique et bon nombre de huguenots ont nourri la Hollande et les colonies extraeuropéennes. Sur le continent européen, chaque culture et nation vivait prospère puis décliner sans que tout s'écroule ou soit perdu. Une société tombée dans une impasse ne voyait pas se perdre tout ce qu'elle avait créé d'autres peuples proches pouvant en bénéficier. Les nations en déclins étaient remplacées par d'autres permettant une certaine continuité et une amélioration pour tous sur une très longue période. En fait, on voit ici un principe simple, la complexité, la diversité, permet une adaptation plus forte face au changement. C'est vrai en biologie, mais c'est vrai aussi pour les cultures humaines. L'uniformisation rend extrêmement fragile aux chocs et aux variations violentes des conditions de fonctionnement de la société. Plus votre biotope culturel est varié, plus il y a de façons de vivre diverses et de nations, et plus vous avez de chances de survivre à une grande catastrophe. Avec l'uniformisation planétaire des modes de vie, l'on voit ce que risque à court terme l'humanité. C’est d'ailleurs la grande crainte de Jared Diamond.
La séparation des pouvoirs politiques en Europe a donc permis au continent de ne jamais s'écrouler complètement. Cette division a permis au continent de continuer toujours à avancer avec des acteurs dominants qui changeaient suivant les époques. Jamais l'Europe ne s'était retrouvée globalement dans une impasse. C'est d'ailleurs toujours un peu le cas puisque certains états européens à l'heure actuelle restés indépendants de cette chose bureaucratique qu'est l'UE font preuve d'un plus grand dynamisme et d'une plus grande créativité que le géant paralyser qu'est devenu le continent. Des pays comme l'Islande ou la Suisse nous montrent des voies originales et indépendantes que pourraient prendre les nations européennes si elles abandonnaient leur fantasme d'uniformisation européenne. On le voit, s’il est vrai que la division continentale a pu amener parfois quelques malheurs, quoique bien souvent ce fut le fruit de quelques ambitieux voulant justement mettre fin à cette division, elle a aussi permis au contient sa prospérité et son avancée historique. En mettant un seul pouvoir au centre du continent nous avons rompu avec cette vieille division et condamné le contient à finalement perdre son identité propre. Il a perdu sa capacité à se réinventer et à réinventer ses politiques et son organisation économiques.
L'Europe de la coopération interétatique
L'avenir de l'Europe se fera nécessairement par un retour aux nations qui la compose. Mais ce retour aux nations ne signifie pas du tout un repliement sur soi bien au contraire. On cite souvent Airbus comme réussite européenne en oubliant que ce sont les états nation qui ont collaboré à sa création, il n'y avait nulle centralisation à cette création. Certains états comme la France ayant entrainé les autres avec leurs propositions. L'histoire récente de l'Europe nous montre que les vrais progrès et les vraies actions de collaboration intereuropéenne s'obtiennent essentiellement de cette manière. Il en ira de même à l'avenir. Le pouvoir centralisé à l'échelle européenne paralyse et élimine les initiatives étatiques par sa lourdeur et sa lenteur. Laissez aux nations le choix des politiques industrielles ou des volontés d'innovation permettraient à quelques nations plus dynamiques que d'autres de lancer des initiatives auxquelles d'autres pourront si elles le souhaitent se joindre. Dans l'esprit universel qu'est celui de l'Europe il n'est d'ailleurs pas interdit que des nations extraeuropéennes se joignent ainsi à ces projets. Une possibilité inexistante dans la volonté de créer une Europe fédérale et quasi nationaliste puisqu’exclusivement tournée vers elle même.
On le voit, l'Europe des nations ne signifie aucunement la fin de l'Europe, ou le retour aux conflits. C'est juste une autre manière d'organiser les relations entre nations européennes. À mon avis l'UE est le dernier reste de l'esprit du 19e siècle en Europe, l'idée d'une course à la nécessaire puissance et à l'uniformité. Vouloir faire de l'Europe une autre Amérique est stupide au moment où l'on sent bien que le modèle de civilisation américain est en crise. Il eut été en réalité bien plus intéressant que l'Amérique se mette à ressembler à l'Europe. Que le monde aurait été plus beau et plus original s'il y avait eu une Amérique allemande, une Amérique hollandaise ou italienne en plus de l'Amérique anglaise. Si au lieu de se fondre en une seule bouillie culturelle vaguement anglaise les enfants du continent européen avaient chacun créé leur Amérique. On croit que le sens de l'histoire va vers l'uniformisation et l'unification du genre humain, je crois en réalité exactement l'inverse. Chiche, il faut militer pour une européanisation de l'Amérique.
YANN
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