Alors que l'on a fêté au mois de mai les 30 ans de l'élection de François Miterrand, Gaël Brustier a compulsé « Les années Mitterrand » de Didier Motchane, co-fondateur du Centre d'études, de recherches et d'éducation socialiste (CERES). Il souligne l'incapacité de la gauche française à penser à l'avenir.
Passées les cérémonies sirupeuses du 10 mai 1981, qui évitent à la gauche française de penser l’avenir puisqu’elle se refuse à analyser le passé, et quarante ans après Epinay, passées sous silence pour cause de deuil électoral post-new-yorkais, il est plus qu’utile de s’intéresser au dernier opus de Didier Motchane, Les Années Mitterrand (Bruno Leprince, 2011). Le co-fondateur du CERES revient dans ce livre sur les deux septennats de François Mitterrand. Sans mansuétude mais sans amertume. Motchane est un nom qui évoque évidemment la puissante structuration intellectuelle du socialisme des années 1971-1983, avec, notamment « Clés pour le socialisme », petit bijou de théorisation du projet d’Union de la Gauche. Motchane incarne aussi l’animation des revues « Frontière », « Repères », « Non ! », autant de déclinaisons des « Cahiers du CERES » toujours à relire et qui peuvent susciter une légitime admiration. Motchane est enfin le critique méticuleux des années d’exercice du pouvoir par la gauche, ces « Années Mitterrand », deux septennats entrecoupés de deux cohabitations que l’on aimerait résumer à quelques images d’Epinal : Solutré, les grands travaux, la fête de la Musique et le Vieux Morvan. A lire Motchane, on s’aperçoit que rien n’est simple.
Reprendre cette histoire avec un fondateur du CERES, c’est un moyen assez efficace de faire une critique utile de l’exercice passé du pouvoir par la gauche moins d’un an avant la prochaine élection présidentielle ; une leçon d’histoire bien souvent occultée par l’historiographie officielle du PS. Petite histoire que l’on ignore souvent, c’est le CERES qui donna au PS le « Poing et la Rose », inventé par Didier Motchane , dessiné par le graphiste Yann Berriet, adopté par la Fédération de Paris en 1970 puis par le PS d’Epinay en 1971. Tiré d’une paraphrase de Marx, l’emblème du PS évoquait à la fois le sursaut de la décision et l’idéal à atteindre. Mais l’apport du CERES à l’histoire du socialisme français ne s’arrête pas là… « Union de la Gauche », transition au socialisme, autogestion, politique industrielle, articulation de l’indépendance et de l’internationalisme, front de classes etc., nombreuses sont les thématiques qui ont nourri la construction du PS et l’ont amené à gagner l’élection de 1981. C’est un des siens, Jean-Pierre Chevènement, qui a été rédacteur du programme commun de 1972 puis du programme socialiste de 1980 dont ont été tirées les 110 propositions. Renoncement à se hisser à la hauteur des enjeux, renoncement à essayer et même renoncement à penser l’avenir de la France dans le monde, voilà ce à quoi le CERES a voulu s’opposer en affirmant, à partir de 1983, la force de l’Idée républicaine pour affronter les « vents dominants » néolibéraux.
« L’Europe commence à payer le prix de l’aveuglement qui l’a conduite à couvrir d’un faux semblant démocratique la réalité des oligarchies ». Didier Motchane nous livre, dans Les Années Mitterrand son regard plus qu’aiguisé sur les deux septennats éponymes. Autant, à ses yeux, 1981 semble apparaître comme la redécouverte par la France de sa vocation historique révolutionnaire, autant la tendance à identifier Maastricht au « seul avenir possible » a abouti à condamner le projet européen aux yeux des Européens. Paradoxes des années Mitterrand qui se sont ouvertes sur l’appel à l’Histoire pour se clore avec l’idée que « la Révolution française est terminée ». Les années Mitterrand sont-elles donc celle d’un Giscardisme abouti, c'est-à-dire la victoire d’une forme de thermidorisme mal assumé mais incarné par les fêtes du Bicentenaire ?
Dans les quatre textes réunis ici, l’argumentation est implacable, jamais dans l’excès, toujours méticuleuse et par conséquence parfois cruelle. La question qui se pose est celle d’un retour critique sur cette expérience gouvernementale de gauche, non pour dénigrer mais pour comprendre comment l’espoir de 1981 a tourné court. « La mondialisation, le Mouvement des Citoyens (MDC) l’avait expliqué dans son programme, c’est la stratégie déployée aujourd’hui par le capital financier » écrit Didier Motchane qui rappelle ainsi qu’un horizon nouveau peut être dégagé en partant d’une critique du processus de globalisation financière. Finalement, quarante ans après Epinay, si le CERES n’a pas gagné, il est encore moins sûr qu’il ait définitivement perdu…
- Didier Motchane, Les Années Mitterrand (Bruno Leprince, 2011)
Gaël Brustier - Tribune
http://www.marianne2.fr/40-ans-apres-Epinay-le-CERES-n-a-pas-tout-perdu_a208401.html