C’est une des dernières lignes de défense des partisans de l’euro : le retour des monnaies nationales et des dévaluations compétitives provoqueraient un cataclysme économique. Outre le fait que la situation actuelle est loin d’être riante, l’explosion du SME au début des années 1990 nous dit le contraire.
Flashback
Le début des années 1990 est difficile pour l’économie mondiale. Après une fin des années 1980 euphorique malgré le krach de 1987, du fait, déjà, de l’ajustement des politiques monétaires par les banques centrales, les économies occidentales souffrent d’un violent krach immobilier, qui aboutit à des faillites bancaires aux Etats-Unis, à la crise dont le Japon ne s’est toujours pas totalement remis et à un ajustement violent du marché immobilier parisien (qui perd 35% de sa valeur de 1991 à 1998).
L’Europe continentale rentre plus tardivement en récession du fait de l’unification allemande. En effet, le choix par Bonn d’une parité entre mark de l’est et mark de l’ouest donne un pouvoir d’achat important qui booste la croissance allemande en 1991 et produit un effet d’entraînement pour toute l’Europe. Mais cette forte croissance provoque une remontée de l’inflation (au-delà de 5%) et même un léger déficit de la balance des transactions courantes.
En outre, les parités monétaires européennes n’ont pas été réajustées pour tenir compte des différentiels d’inflation. Et la surchauffe de l’économie allemande pousse la Bundesbank à remonter les taux d’intérêt début 1992. La spéculation, permise par la libéralisation des mouvements de capitaux (directive Delors-Lamy de 1988), se déchaîne et provoque alors une explosion du SME de 1992 à 1993.
Dévaluation et croissance
En septembre 1992, après avoir monté ses taux courts à 15%, la Grande Bretagne quitte le SME pour ne pas asphyxier son économie. La livre perd jusqu’à 25% (en 1994, la dévaluation par rapport au mark atteint en moyenne 15% par rapport à 1991). La peseta et l’escudo sont dévalués une première fois, puis une seconde en mai 1993. En août 1993, les marges de fluctuations du SME sont élargies à 15%. En 1994, la lire et la peseta ont perdu 25% par rapport au mark.
Mais loin d’apporter la désolation économique, ces réajustements monétaires dynamisent l’économie. Après deux années de récession, la croissance rebondit au Royaume Uni (2.2% en 1993 et 4.3% en 1994). Après la récession de 1993, l’Europe continentale retrouve la croissance en 1994 : 2,2 à 2,4% en France, Italie et Espagne et même 2.7% en Allemagne. Mieux, l’inflation diminue dans les pays qui ont dévalué (4% en 1994 contre 6% en1991 en Italie, 2% au Royaume Uni au lieu de 7.5%).
Ce que cela dit d’une fin de la monnaie unique
Bref, le réajustement brutal des parités monétaires, a, au contraire, libéré la croissance économique européenne en permettant aux différents pays d’avoir enfin un taux de change et des taux d’intérêt adaptés à leur économie. Mieux, cela n’a pas provoqué de dérapage inflationniste puisque l’inflation a reculé sur l’ensemble du continent pendant l’intervalle. Et de toutes les façons, l’histoire économique enseigne que les dévaluations ont souvent un intérêt.
Alors, bien sûr, dans le cas d’une fin de l’euro, se poserait le problème des dettes souveraines. Il serait bien sûr illusoire de partir du principe que l’Italie pourra assumer sa dette si elle dévalue. Néanmoins, il faut noter que depuis un an et demi, les Etats européens ont mobilisé 400 milliards d’euros pour sauver les créanciers des pays en difficulté sans contrepartie autre qu’une austérité sauvage et imbécile. Mieux, la monétisation permettrait de recapitaliser les banques à bon compte.
Bref, loin des scénarios catastrophistes qui visent surtout à faire peur et empêcher tout débat, le réajustement des parités monétaires permettrait de relancer la croissance dans les pays de la périphérie qui retrouverait ainsi leur compétitivité sans avoir à baisser les salaires. Le montant des ajustements fait qu’un dérapage inflationniste est évitable. Et s’il fallait recapitaliser les banques, cela ne serait pas plus important que ce qui est fait aujourd’hui.
Bref, même si l’économie n’est pas une science exacte, l’examen de l’explosion du SME en 1993 permet de très fortement nuancer les prédictions catastrophistes de certains. Les dévaluations peuvent être positives.
Laurent Pinsolle
Source pour les chiffres : OCDE
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